Watteau : l’art de l’instant
Il y a trois siècles, le 18 juillet 1721, Jean-Antoine Watteau s’éteignait prématurément, à l’âge de trente-sept ans, mais son œuvre, accomplie pour l’essentiel en une douzaine d’années, bouleversa le cours de la peinture bien au-delà de l’Hexagone. Le thème de la Fête galante, dont il fut l’inventeur, connut en effet une fortune considérable au XVIIIe siècle et devint l’emblème du goût français à travers l’Europe.
Jean-Antoine Watteau est né à Valenciennes dans une famille de maîtres-couvreurs. Il commence son apprentissage à l’âge de dix ans chez Jacques-Albert Gérin, peintre valenciennois, avant de s’installer à Paris où il poursuit ses études chez un graveur et décorateur de théâtre, Claude Gillot. Son goût pour les personnages de théâtre et les fêtes galantes trouve probablement ses racines dans cet apprentissage. Vers 1707-1708 il entre chez Claude III Audran, graveur de renom, en fonction au palais du Luxembourg. C’est dans ce palais qu’il découvre Rubens et en fait des copies. Il est reçu comme élève de l’Académie. À partir de 1709, Watteau se constitue une clientèle en peignant des sujets militaires. En 1717, l’Académie souhaitant le recevoir parmi ses membres, il présente comme morceau de réception Le pèlerinage à l’île de Cythère, une fête galante, genre créé pour lui dans la hiérarchie artistique académique.
Il souffre probablement de la tuberculose et part pour Londres en 1717-1720 pour tenter de se soigner. Il rencontre en Angleterre de nombreux artistes français qui s’inspirent de son œuvre pour réaliser des gravures très appréciées. L’influence de Watteau sur l’art anglais se retrouve en particulier chez Gainsborough. De retour à Paris, son talent exceptionnel est désormais reconnu par des collectionneurs et par des marchands comme Edme-François Gersaint, pour qui il peint L’Enseigne de Gersaint (1720).
Son mal s’aggravant, son ami l’abbé Haranger l’installe à Nogent-sur-Marne où il mourra à l’âge de trente-sept ans.
L’art de l’instant
Watteau commence par l’art décoratif sous l’impulsion de Gillot et Audran. Il participe à la décoration du château de la Muette et de quelques hôtels.
La représentation de scènes militaires constitue une deuxième étape de la carrière de Watteau. Il fera évoluer le genre des scènes traditionnelles de parades ou de batailles vers la description de la vie quotidienne des soldats ; plus de glorification de l’armée mais tout simplement la monotonie de l’attente.
Les scènes de genre sont peu nombreuses chez Watteau. La plus célèbre est L’Enseigne de Gersaint (1720). Il s’agit d’une huile sur toile de grandes dimensions réalisée en deux parties pour Edmée-François Gersaint, marchand de tableaux et ami de Watteau. Le tableau était destiné à décorer l’entrée du magasin et à attirer la clientèle. Les peintures de grandes dimensions concernaient à l’époque les scènes religieuses, mythologiques ou historiques mais jamais les scènes de genre, considérées comme inférieures par l’Académie.
L’Enseigne de Gersaint est une œuvre unique et totalement atypique pour le début du XVIIIe siècle. Outre la richesse expressive propre à Watteau (politesse, galanterie, ironie, passage du temps et des monarques), le génie des attitudes et des mimiques, l’art de la couleur et de la lumière, le tableau préfigure une thématique qui ne naîtra qu’un siècle et demi plus tard. Il faudra en effet attendre le mouvement réaliste dans la seconde partie du XIXe siècle pour que la peinture s’intéresse à nouveau à la vie urbaine.
Les scènes de théâtre constituent un des thèmes dominants de l’œuvre. Mais il s’agit de personnages de théâtre idéalisés, transplantés de la petite scène de commedia dell’arte où ils jouaient vers les décors et paysages poétiques de Watteau. Les vêtements défraîchis deviennent des costumes de rêve.
Les scènes de théâtre constituent un des thèmes dominants de l’œuvre. Mais il s’agit de personnages de théâtre idéalisés, transplantés de la petite scène de commedia dell’arte où ils jouaient vers les décors et paysages poétiques de Watteau. Les vêtements défraîchis deviennent des costumes de rêve.
Les fêtes galantes sont les tableaux les plus célèbres de Watteau. Le genre avait été créé spécifiquement pour lui par l’Académie royale lorsqu’en 1717 il présenta son morceau de réception, le Pèlerinage à l’île de Cythère.
Cythère est une île grecque de la mer Égée, mais dans la mythologie grecque elle est l’île dont les eaux ont vu naître Aphrodite, la déesse de l’Amour. Cette île a donc abondamment inspiré les artistes : poètes, musiciens et peintres. Le tableau de Watteau représente le moment du retour d’un pèlerinage à Cythère d’un groupe de personnes de la haute société. Pour les contemporains, le tableau signifie Pèlerinage à l’île de l’Amour et il évoque à la fois les félicités et la fugacité du sentiment amoureux.
Watteau est le premier peintre qui s’intéresse vraiment au sentiment amoureux. Ses personnages sont plongés dans des conversations tendres, dans des songes ; les mimiques sont omniprésentes ainsi que l’élégance des gestes. Toutes les nuances sont perceptibles, de la sincérité à la dissimulation, de la joie au désenchantement.
La profonde originalité de Watteau trouve sa source dans ce monde étrange et mélancolique qu’il a su créer. Son art évoque avec délicatesse les moments évanescents où l’homme parvient pour un instant à rompre sa solitude par la tendresse, la sensualité, l’échange. Watteau est un peintre de l’instant fragile, comme dans cette magnifique représentation du partage musical sous le signe de l’érotisme.
Christine Ferret
Pour aller plus loin
- Antoine Watteau à la BnF
- Antoine Watteau dans Gallica
- Katalin Bartha Kovács. Diderot et Watteau : vers une poétique de l’image au XVIIIe siècle. L’Harmattan, 2019
- Dominique Vergnon. Comment dire l’instant en peinture : de William Blake à Antoine Watteau. Michel de Maule, 2014
- De Watteau à Fragonard : les fêtes galantes : ouvrage publié à l’occasion de l’exposition au Musée Jacquemart-André, du 14 mars au 21 juillet 2014 / catalogue sous la direction du Dr Christoph Martin Vogtherr et du Dr Mary Tavener Holmes ; Bruxelles : Fonds Mercator, 2014.