Apocalypse – Une passion littéraire

Le texte de l’Apocalypse de Jean a inspiré nombre d’auteurs, penseurs, romanciers, poètes, tragédiens et continue à vivre dans la culture et l’imaginaire contemporains. En prolongement de l’exposition Apocalypse, le catalogue propose une déambulation au fil d’extraits littéraires nourris de références et de correspondances avec le texte original.

 

« C’est l’un des pouvoirs de ce texte d’avoir perduré et irrigué au fil du temps de nouvelles œuvres littéraires par la puissance de son imaginaire, son intense énergie et sa poésie, souligne Lucie Mailland, commissaire de l’exposition. Avec Jeanne Brun et Pauline Créteur, nous avons effectué une sélection d’extraits littéraires que nous avons choisi de disséminer au fil des pages du catalogue. » Ces textes, mis en regard de reproductions des œuvres présentées dans l’exposition, donnent à entendre les voix d’écrivains connus ou moins connus comme Emily Dickinson, Friedrich Hölderlin, Victor Hugo, Mary Shelley ainsi que des auteurs modernes comme Antonin Artaud et Marguerite Duras, ou encore des contemporains tels Svetlana Alexievitch ou Audre Lorde. « Cette postérité peut se lire comme un palimpseste, c’est-à-dire, selon la terminologie du théoricien Gérard Genette, un parchemin qui révèle par transparence les inscriptions anciennes derrière les tracés plus récents », poursuit Lucie Mailland.

Le Secret de l’histoire naturelle contenant les merveilles et choses mémorables du monde, manuscrit peint sur parchemin - XVe siècle - BnF, département des Manuscrits

 

Réminiscences apocalyptiques

Ainsi, nombre d’extraits résonnent, dans leurs thèmes comme dans les images qu’ils portent, avec le texte de Jean, à l’instar du Richard III de Shakespeare, dans lequel la mort du roi rappelle la chute des puissants qui ont vécu dans la magnificence et seront châtiés. Le motif de l’ange annonçant la fin du monde est repris par Lamartine et Hugo, tandis que Ray Bradbury, dans Fahrenheit 451, se saisit de celui du feu ravageant les livres et le savoir pour évoquer la fin de la civilisation : il est loin d’être le seul à s’inspirer de l’image de la grande cité détruite par les flammes – référence à Babylone, figure de la décadence et de la corruption.

L’apocalypse sert ainsi à dénoncer des événements, exprimer la révolte et l’indignation, plaider une cause. Dans Cahiers d’un retour au pays natal, Aimé Césaire associe la colère des Noirs face à leur condition avec la mise à feu du monde ancien. Svetlana Alexievitch écrit sur la catastrophe de Tchernobyl à la lumière de témoignages qui disent l’omniprésence de la mort dans un monde en déréliction et Hélène Cixous semble mêler à la réminiscence du récit biblique la mémoire de la Shoah et l’actualité des incendies de Gironde en 2022. Plus généralement, la question posée par la hantise de l’apocalypse est celle du destin de l’humanité, de la fin d’un monde et de la manière d’imaginer « un monde d’après ». La notion de révélation, cruciale dans l’Apocalypse de Jean, connaît au fil du temps des résurgences diverses, depuis la lumière intérieure, intime qui se dévoile à Philippe Jaccottet dans la fulgurance de L’Inattendu, jusqu’à l’espoir exprimé par la poétesse libanaise Etel Adnan dans son recueil L’Apocalypse arabe, écrit en 1975, que « dans la nuit nous trouverons le savoir l’amour la paix ». Aujourd’hui comme hier, l’Apocalypse de Jean reste une grille de lecture saisissante du chaos du monde.

 

Sylvie Lisiecki

Article paru dans Chroniques n° 102, janvier-mars 2025