Être chercheuse aujourd'hui
J’ai soutenu ma thèse en décembre 2020. J’ai été ATER (Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche) à l’Université d’Artois (à Arras) durant l’année universitaire 2020-2021 où j’ai notamment eu le plaisir d’animer deux séminaires consacrés à mon champ de recherche (l’un sur le roman de formation féminine, l’autre sur l’écriture romanesque de l’Histoire par des autrices, intégrant la question postcoloniale). Cette année, je n’ai pas eu de poste en université et j’enseigne dans un lycée. Il faut savoir qu’il est extrêmement difficile pour les jeunes chercheurs de trouver un poste en université car ils se font très rares : je remplis donc actuellement, comme beaucoup d’autres, des dossiers de candidature. Et je travaille petit à petit à la publication de ma thèse ainsi qu’à la préparation d’une intervention lors d’un colloque au mois de juin, après avoir rédigé un article qui paraîtra d’ici quelque temps.
Est-ce difficile d’être une femme dans le milieu de la recherche ?
En littérature (et je réponds uniquement d’après mon expérience dans ce domaine de recherche car je crois savoir que la situation est assez différente dans d’autres domaines de recherche, notamment ceux des sciences sociales ou des sciences « dures »), je n’ai pas éprouvé de difficultés particulières en tant que femme, si ce n’est parfois l’impression d’avoir plus de choses à prouver qu’un homme. C’est plutôt mon sujet de recherche (« Le roman de formation féminine en France, Angleterre et Espagne de l’entre-deux-guerres à l’après-guerre ») qui avait suscité quelques clivages, voire quelques blocages lorsque je l’ai entrepris entre 2015 et 2016. Depuis, avec l’apparition des différentes vagues #Metoo, le regard des autres chercheurs sur mon sujet a changé et son intérêt s’est peu à peu imposé.
Le milieu littéraire a cela de particulier qu’il compte aujourd’hui, et depuis plusieurs années, beaucoup de femmes. En un sens, cela peut faciliter les échanges, particulièrement en littératures comparées : il y a une forme d’écoute et de solidarité entre femmes qui s’est peu à peu développée - même si, à l’inverse, on peut aussi être confrontée à des « rivalités féminines » complètement surannées !
Mais cette forte présence des femmes dans le milieu de la recherche littéraire amène toutefois à un problème officieux qui est qu’à qualifications égales, un profil masculin sera souvent préféré à un profil féminin pour l’obtention d’un poste car il y a une sorte de crainte que les enseignants-chercheurs en littérature ne deviennent une espèce en voie de disparition. Lorsqu’avaient été publiées à l’automne 2018 les tribunes d’enseignantes-chercheuses en histoire et en philosophie dénonçant combien les femmes étaient encore minoritaires dans ces disciplines à l’université, je me rappelle avoir pensé qu’on aurait pu écrire, avec une pointe d’humour, l’inverse au sujet du domaine littéraire. Restent cependant deux points négatifs : celui que je viens de soulever (à qualifications égales, on discerne une « discrimination positive » en faveur des hommes) et un second point qui rejoint les remarques des tribunes des historiennes et des philosophes, qui est qu’en littérature comme dans les autres disciplines, la présence des femmes se fait plus rare aux postes les plus élevés et de direction. De ce point de vue, il faut donc encore que la situation évolue et que l’on cesse – inconsciemment ou non – d’associer « féminisation » des métiers et dévaluation de ceux-ci…
Est-ce qu’il y a des avantages ?
Celui que j’ai cité auparavant, à savoir une écoute et une solidarité entre femmes qui permet de développer ensemble des projets qui sortent des sentiers battus et explorent d’autres voies/voix, lors de séminaires, journées d’études, colloques, etc. Il y a une envie, partagée aujourd’hui par beaucoup de femmes (mais aussi de plus en plus d’hommes), d’examiner à nouveau les questions de genre (gender), d’élargir ce champ de recherche mais aussi les façons de l’explorer. Encore une fois, il me semble que les mouvements de prise de conscience et de prise de parole qui ont émergé en société ont permis de (re)légitimer ces recherches et de les placer à nouveau sous les projecteurs et il est à souhaiter que cela dure et ne soit pas qu’un phénomène temporaire si l’on veut réaliser de réelles avancées, dans tous les domaines.
Que représente pour vous la journée internationale des droits des femmes ?
Je ne suis pas sans connaître les critiques ordinaires des détracteurs des « journées de… » mais cette journée internationale des droits des femmes me paraît nécessaire car elle est l’occasion de mettre en lumière à la fois des situations et des problématiques dont l’importance et la portée sont encore sous-estimées comme de faire connaître des figures féminines passées sous silence, méconnues ou inconnues. Elle joue donc un rôle essentiel d’information et d’inspiration. Il faut simplement, là encore, qu’elle ne soit pas une action annuelle ponctuelle sans conséquences sur le long terme mais qu’elle soit chaque fois un moteur qui permette de lancer et de perpétuer des initiatives en faveur des femmes.
Pour plus d’informations sur le travail et le parcours d’Ambre-Aurelie Cordet vous pouvez retrouver le portrait original réalisé en 2020 sur Instagram.