Fêter l’ouverture
Chroniques : Quel regard portez-vous sur le site Richelieu de la BnF ?
Anne-Laure Liégeois : Lorsque je suis venue à Richelieu pour la première fois, il y a deux ans, j’ai été émerveillée par la splendeur du site. Un lieu était en train de renaître dans la beauté. Mais j’avais aussi la sensation de franchir les portes d’un temple – un sanctuaire du savoir, de l’art, de la connaissance où il fallait marcher sur la pointe des pieds et ne pas élever la voix. Un lieu réservé, sans doute non ouvert à tous. Je me disais que ce serait formidable de partager ce beau, ce savoir, et déjà je comprenais que la Bibliothèque était en marche sur ce chemin du partage : ce jardin en reconstruction, ce lieu d’accueil si vaste et cette grandiose salle Ovale ouverte au public ne seraient plus un espace gardé. Ce sentiment me transportait. Et je voulais moi aussi, dans la commande qui m’était faite, entrer dans cette dynamique simple, généreuse, joyeuse.
Quelles sont les dominantes des événements d’inauguration ?
Cette ouverture est une fête de la beauté, de la création, de la rencontre et du partage. Elle célèbrera un retour à la vie ! Le programme, élaboré avec les conservateurs de la Bibliothèque, met en scène 53 artistes : des comédiens, des acrobates, des musiciens, des chanteurs, des danseurs, des jongleurs, des marionnettistes, des auteurs, une photographe… Les visiteurs les croiseront sur leur parcours, rythmé par des performances d’artistes à différents endroits. Il y aura des comédiens dans le musée pour commenter certaines œuvres – Marie Nimier et Thierry Illouz qui ont écrit leurs textes les ont appelés les Alorlas. Des comédiens-guides, que j’ai nommés les Potomaks en l’honneur de Cocteau, accompagneront de petits groupes de visiteurs dans des promenades un peu folles, une fanfare qui depuis le jardin ou la cour d’honneur inondera de joie les vieilles pierres… Il y aura des textes du monde entier entendus depuis toutes les bibliothèques du monde, du violon dans les escaliers, des marionnettistes jouant avec les livres, des acrobates dans les endroits les plus inattendus, de l’orphéon dans les couloirs… et puis des temps où tous créeront des moments uniques ensemble. Un quatuor à cordes deviendra un duo, ou ailleurs une violoniste jouera en soliste rejointe bientôt par une danseuse, un jongleur improvisera sur une cantate… Un parcours dans un espace superbe accompagné par le surgissement inopiné du beau… de l’inattendu organisé !
Richelieu, c’est un patrimoine architectural mais aussi des collections de manuscrits, d’estampes et de photographies, de cartes et plans, de musique, de monnaies et médailles…
Quand je suis arrivée, pour comprendre les fils que je devais tirer pour cette mise en scène spéciale, j’ai visité le site sous la conduite de conservateurs tous plus passionnés et intéressants les uns que les autres. J’étais submergée de passions ! Et je me retrouvais face à des œuvres que je n’aurais même pas imaginé approcher : le cahier bleu à carreaux sur lequel Beckett a écrit En attendant Godot, la partition du Don Giovanni de Mozart sur le site François-Mitterrand à la Réserve des livres rares, le livre d’Euripide sur lequel Racine prenait des notes pour sa Phèdre… Une émotion incroyable ! Dans la programmation des lectures qui ont lieu en soirée, le spectateur pourra souvent entendre des textes d’auteurs dont les manuscrits sont conservés à la BnF, comme Victor Hugo dans la salle Ovale ou Simone de Beauvoir dans la salle des Manuscrits et de la Musique ; et aussi des écrits de Perec, Sartre, Calvino sur les bibliothèques et les bibliothécaires… Et dans le nouveau musée de la BnF qui expose une sélection de ses trésors, des comédiens joueront des textes écrits par Marie Nimier et Thierry Illouz composés après leurs rencontres avec des conservateurs des départements des Monnaies, médailles et antiques, des Arts du spectacle, des Cartes et plans.
Qui sont les artistes qui vont incarner ce moment ?
Ce sont des comédiens de la compagnie que je dirige, Le Festin, et d’autres comédiens avec lesquels j’ai déjà travaillé. Et aussi des élèves d’écoles nationales de théâtre. Pour que la jeunesse qui étudie soit aussi de la partie ! Dans ces moments en soirée, il y aura aussi un groupe de bal, les Blue paillettes, qui animera un dancing dans la cour d’honneur. Rémi De Vos a écrit pour l’occasion un texte que deux comédiens, Olivier Dutilloy et Anne Girouard, interpréteront pour notre grand plaisir, je crois !
Richelieu, c’est aussi ceux qui le font vivre, les agents de la BnF, les lecteurs, les visiteurs…
Ces événements ont été conçus pour eux tous ! Les agents de la BnF sont présents dans cette ouverture à travers la commande passée à Fatoumata Diabaté, qui a réalisé des portraits de groupes d’agents représentant de façon emblématique des missions et des projets de la Bibliothèque, et à travers les portraits qu’a écrit l’auteur Arno Bertina, après des entretiens avec un grand nombre d’agents. Quinze tirages photographiques seront exposés sur les murs de la cour Tubeuf et versés ensuite dans les collections de la BnF. Les textes qui les accompagnent pourront être emportés en cadeau. Et pendant le week-end d’inauguration, un studio mobile permettra à chaque visiteur qui le souhaite de se faire photographier par l’artiste Fatoumata Diabaté et de recevoir son portrait. Il faudra que ces journées d’ouverture soient une passerelle vers une histoire nouvelle entre le visiteur et la Bibliothèque. Il faudra que les visiteurs puissent découvrir ou redécouvrir ce lieu, et que l’envie de revenir naisse au cours de ce week-end : pour lire une bande dessinée dans la salle Ovale, pour visiter le musée et attendre impatiemment la rotation des collections. Il faudra qu’ils sachent que les trésors de ce lieu sont désormais visibles à Richelieu et aussi sur le site François- Mitterrand, que des agents passionnés œuvrent tous les jours à leur conservation et à leur communication au public.
Pouvez-vous nous parler de votre rapport avec le livre ?
Bernard Dort a écrit dans Le spectateur en dialogue : « Au fond du théâtre, il y a toujours un livre. » Je l’interprète non pas en pensant qu’il y a un livre au fond de chaque création théâtrale (car ce n’est évidemment pas le cas !), mais que le livre, l’écrit, des mots sur du papier sont consubstantiels au théâtre. Au fond de mon théâtre mental, il y a toujours les mots qui dessinent déjà sur la feuille un espace. Déjà la scénographie du vivant. Le livre en tant qu’objet est pour moi fondamental, il est déjà une représentation et il devient spectacle quand je regarde à l’intérieur les mots-images qui se dessinent en noir sur fond blanc. Ici, à Richelieu, je rêve de pouvoir voir tous les livres. Mais pas forcément de savoir ce qu’ils contiennent tous ! Le rapport charnel avec les mots, c’est ensuite une autre histoire !
Propos recueillis par Sylvie Lisiecki
Entretien paru dans Chroniques n° 95, septembre-décembre 2022