Pour rappel, tous les sites de la BnF sont fermés le mercredi 1er janvier.
« J’écoute ce que les archives ont à me dire »
Chroniques : Quelle a été l’origine de votre résidence à la BnF ?
Bianca Dacosta : J’ai été invitée à cette résidence de création numérique pour mon travail autour de la mémoire de mon pays, le Brésil. Mon premier court-métrage, réalisé au Fresnoy en 2023 (Interior da Terra), portait sur la déforestation de l’Amazonie et le lien entre mémoire ancestrale et archives contemporaines. J’avais voulu montrer que la terre, en tant que matière, garde une mémoire ancestrale conservée par les peuples autochtones – représentés dans le film par le peuple Mura –, que les destructions ne réussissent pas à effacer. Conçu à partir de recherches dans les bases de données de l’Institut national de la recherche spatiale du Brésil, le film varie les échelles, utilise des images prises à la fois au microscope et par des drones, passe du macro au micro. Outre les avancées de la déforestation, le court-métrage questionne l’ambivalence de ces technologies contemporaines : celles-ci permettent d’étudier les changements, mais elles participent aussi des destructions.
Vous avez choisi de travailler sur les voyages d’exploration européens au Brésil entre le XVIe et le XXe siècle. Sous quel angle les abordez-vous ?
Mon travail est une façon de remonter aux prémices de la crise écologique que nous connaissons. On ne cesse aujourd’hui de remettre en cause l’anthropocène – soit les deux derniers siècles –, mais c’est insuffisant. Ma démarche s’appuie sur les études de l’écologie décoloniale, bien décrite par Malcom Ferdinand : l’exploitation agro-industrielle d’aujourd’hui est dans la droite ligne de la colonisation. Je souhaite donc faire un parallèle entre les explorations anciennes et la réalité contemporaine, en confrontant le point de vue des Européens et celui des peuples originaires du Brésil. Les récits de voyage, notamment celui de Jean de Léry, en 1578, les cartes maritimes réalisées par les Européens – par exemple l’Atlas Miller – mais aussi des photos sur plaques de verre ou des photogravures prises au XIXe siècle témoignent d’une vision du monde qui est à mille lieues de la cosmogonie brésilienne : les Européens proposent une approche scientifique, rationnelle, opposée à celle de la culture brésilienne qui est fondée sur l’oralité et accorde une large place à la subjectivité. Chez nous, tout peut avoir plusieurs sens.
Quelle forme prendra l’œuvre issue de la résidence ?
J’envisage un court-métrage qui proposera de traverser les archives comme autant de couches temporelles superposées – un voyage dans le temps où le passé se mélange au présent et au futur. Il montrera aussi bien les récits d’explorateurs et les photos anciennes que j’évoquais que des cartes maritimes du Brésil des années 1980, données à la BnF par la marine brésilienne. Il intégrera également des prises de vue de lecteurs de microfilms de la Bibliothèque, ces machines merveilleuses qui permettent de plonger dans les archives… J’imagine par ailleurs une série de photos réalisées en effaçant, grâce à l’intelligence artificielle, certaines parties des images d’archives : l’idée sera d’évoquer le rôle de l’IA comme machine de destruction contemporaine qui intervient aussi dans le champ de l’écologie. Mais je n’en suis encore qu’au début de mes recherches et les choses vont nécessairement évoluer : j’écoute avant tout ce que les archives ont à me dire.
Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier
Article paru dans Chroniques n°100, janvier-mars 2024