Jérôme Prochiantz photo sensible

En 2023, le collectionneur Jérôme Prochiantz a fait don de 368 photographies à la BnF. Une sélection de ces œuvres, présentée en galerie des Donateurs, révèle la singularité de cette collection foisonnante, reflet de la sensibilité de celui qui l’a assemblée.
 

Constituée d’épreuves de plus de 150 photographes, la collection de Jérôme Prochiantz frappe de prime abord par son éclectisme. Il est de ces collectionneurs qui s’attachent, tels Dina Vierny en son temps, à suivre « la ligne de conduite de [leur] sensation », réunissant des œuvres qui répondent avant tout à leur sensibilité, sans projet préconçu ni prétention à l’exhaustivité.

Une multiplicité d’univers et de styles

Prenant racine dans la photographie historique, sa collection s’ouvre largement aux expressions photographiques contemporaines. Elle mêle les genres, du paysage (Karl Struss, Thomas Struth) au portrait (JH Engström, Andres Serrano) ou à la nature morte (Flor Garduño, Joan Fontcuberta) ; elle juxtapose les registres, du noir et blanc charbonneux de Jean-Michel Fauquet aux couleurs veloutées de Sarah Moon ; les provenances y sont diverses (Europe, Amériques, Extrême-Orient), de même que les techniques, entre la photographie au collodion revisitée par Tom Baril et le Polaroid employé par Daidō Moriyama. Différents univers et styles s’y côtoient : obscurité des portraits énigmatiques de David Nebreda, tachisme des nuits urbaines de Dolorès Marat ou minimalisme surréaliste des compositions de Rudolf Lichtseiner. Çà et là, quelques leitmotivs se laissent deviner : forte présence des animaux et des arbres, motif récurrent de la mégalopole saturée de signes, références au cinéma, aux cultures homo-érotique et SM, tonalités tantôt poétiques et humoristiques, tantôt violentes et désespérées. Autant de tendances qui se révèlent et tissent de perceptibles liens entre les œuvres.

David Lynch - 1999 - © Richard Dumas / Agence VU’

L’esprit de foisonnement

L’exposition, qui présente une sélection représentative des goûts du collectionneur, joue sur un accrochage dense, juxtaposant des écritures photographiques variées dans des encadrements tout aussi divers – imaginés par Jérôme Prochiantz pour chaque tirage avec la complicité de l’atelier Circad. Elle restitue ainsi pour le public l’esprit de foisonnement qui anime les murs de son appartement parisien et permet aux épreuves de se faire écho, par le sens comme par la forme. Enfin, l’accent est mis sur des œuvres ou des auteurs jusqu’alors absents des importantes collections du département des Estampes et de la photographie, tels un tirage couleur de Mario Giacomelli, un paysage de Don McCullin, des œuvres de Gjon Mili, Robert Mapplethorpe, Masahisa Fukase, Nan Goldin ou Masao Yamamoto.

Sylvie Aubenas et Dominique Versavel

 

 

3 questions au collectionneur

Il y a trente-cinq ans que Jérôme Prochiantz achète des photographies et vit au milieu d’elles. Il s’exprime pour Chroniques sur les ressorts de cette passion.

Chroniques : Quand et comment avez-vous commencé à collectionner les photographies ?

Jérôme Prochiantz : En 1989, dans une galerie, j’ai eu un coup de foudre pour un tirage de George Dureau, un artiste installé à la Nouvelle-Orléans, qui représentait un nu masculin. Il s’agit d’un homme noir, vu de dos, au corps atrophié, un corps qui a souffert. C’est ainsi qu’a débuté ma collection. Le dernier tirage que j’ai acheté, c’était la semaine dernière. Le cliché, pris par un photographe anonyme, date de 1959 et représente quatre religieuses regardant des tableaux dans un musée.

Votre collection se caractérise par son éclectisme, tant du point de vue des sujets, de l’écriture, des techniques employées… Qu’est-ce qui guide vos choix ?

L’amour ! Ce sont des coups de cœur à chaque fois. Le choix dépend beaucoup du moment que je vis, de l’humeur dans laquelle je me trouve. C’est lié à l’instant. On peut avoir envie d’un bouquet de fleurs comme d’un revolver, de douceur comme de violence.

Comment analysez-vous votre goût pour la collection ?

Il n’existe chez moi aucune volonté d’exhaustivité ou de spéculation. Je vis avec ces images. Elles font partie de mon environnement, elles me touchent et m’inspirent. C’est un compagnonnage de tous les instants.

Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024