La patère de Rennes, un chef d’œuvre du musée de la BnF

Peu de vaisselle d’or antique est parvenue jusqu’à nous. Cette coupe romaine, que l’on appelle la patère de Rennes est donc exceptionnelle et constitue l’un des chefs d’œuvre du musée de la BnF.

 

La patère de Rennes - BnF - département des Monnaies, médailles et antiques

 

A quoi servait un objet d’un tel luxe ?

C’est une patère, c’est-à-dire une coupe peu profonde, qui peut être avec ou sans manche, utilisée pour offrir des libations (offrande liquide de vin ou de lait) lors de cérémonies cultuelles. Celle-ci est exceptionnelle à la fois par son matériau, de l’or pur, son décor foisonnant et l’insertion de monnaies romaines dans sa bordure qui en font un unicum

Les exemples de vaisselle d’or antique parvenus jusqu’à nous sont rarissimes. Dans ce domaine l’or est moins utilisé que l’argent et sa préciosité pousse à le refondre sans cesse pour le réutiliser. La coupe de Rennes a ainsi échappé plusieurs fois à la fonte : dans l’Antiquité lors des troubles qui ont suscité son enfouissement et en 1774 lors de sa redécouverte, quand les responsables de la Monnaie de Bretagne ont voulu l’envoyer à la fonte pour en faire des monnaies. Puis encore lors d’un vol à la Bibliothèque royale en 1831. Elle a été heureusement retrouvée sous un pont de la seine où l’avait engloutie le receleur.

La découverte

1774. Trouvaille de Rennes - BnF - Département des Monnaies, médailles et antiques

Sa découverte en 1774 lors de travaux d’une maison du chapitre de la cathédrale de Rennes est, de façon tout à fait inhabituelle, très bien documentée. Le dossier d’archives des échanges entre le conservateur du Cabinet du roi (Barthélemy de Courçay) et son correspondant à Rennes, raconte exactement comment et où elle a été trouvée : sous une maison du chapitre de la cathédrale de Rennes à 2 m sous terre près d’une fosse avec des ossements et d’autres objets. 

Ce sont 94 monnaies d’or allant du 1er siècle à la fin de l’année 274, des chaînes avec 4 monnaies de l’empereur gaulois Postume de 263, montées en luxueux pendentifs ajourés, une fibule des années 250-275.

L’enfouissement, postérieur aux dernières monnaies, doit dater des années 275-276 quand la Gaule est décimée par des successions de raids de barbares, notamment les Francs venus d’outre-Rhin, puis par des troupes armées de paysans et de déserteurs, poussés par la misère.

 

Quand et pour qui a-t-elle été fondue et ciselée ?

Détail de la bordure et de la frise de la patère de Rennes - BnF - Département des monnaies, médailles et antiques

Sur le rebord de la patère sont insérées 16 monnaies d’or romaines(des aurei) qui alternent profils d’empereurs barbus avec ceux de princes juvéniles et d’impératrices. Six représentent l’empereur Septime Sévère, ses fils (Géta et Caracalla) et son épouse. 

Ce sont elles qui permettent de dater la coupe entre 208, date de la monnaie la plus récente, celle de Géta, fils cadet de l’empereur Septime Sévère et 211, date de l’assassinat de Géta, après laquelle sa mémoire fut condamnée et son effigie interdite.

Les dix autres monnaies représentent des membres de la dynastie impériale précédente, celle des Antonins. Cette association montre le désir de Septime Sévère d’être considéré comme l’héritier légitime de ses prédécesseurs, lui le premier issu du continent africain, né à Leptis Magna en Libye.

Au centre un large médaillon est couvert de bas reliefs fondus et ciselés. Il illustre un concours de boisson entre deux fils de Jupiter : à droite le héros Hercule, nu et musculeux s’accroche au rocher couvert de la peau de lion sur lequel il est assis, la massue posée à ses côtés, une coupe à vin, un canthare, à la main.

Face à lui Bacchus, le dieu du vin, juvénile et gracieux, assis sur un siège sculpté, le regarde, triomphant, en souriant, brandissant son vase à boire (un rhyton), vidé et renversé, dont la forme en pavot symbolise le sommeil que provoque le vin.

out autour se déroule une frise animée où l’on voit Bacchus sur son char tiré par des panthères, et ses suivants, Silène sur un dromadaire, des bacchants et des bacchantes dansant et jouant de la musique, de petits génies qui foulent le raisin, des boucs. Au sommet Hercule ivre, titube, soutenu par deux bacchants.

 

Médaillon et frise de la patère de Rennes, représentant un défi entre Bacchus et Hercule - BnF - Département des monnaies, médailles et antiques

Ce concours de beuverie illustre le triomphe du vin sur la force, même lorsqu’elle est surhumaine comme celle d’Hercule.

Bacchus et Hercule sont les protecteurs de la ville natale de Septime Sévère (Leptis Magna en Libye) et deux divinités que l’empereur honore tout particulièrement : il leur fait élever un temple à Rome et il les représente sur ses monnaies. C’est donc probablement ce dernier qui a commandé cette œuvre de grand luxe, au symbolisme fort, qui ne peut être destinée qu’à un personnage important, proche du pouvoir. Il s’agit vraisemblablement d’un donum, un don d’objet précieux à un haut militaire. 

Mais derrière le message simple et moral - affirmant que la force, même surhumaine, est vaincue par le vin - se profile une symbolique plus complexe qui fait allusion à la rivalité mortelle entre les deux fils de l’empereur.

 

Mathilde Avisseau-Broustet

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