Pour rappel, tous les sites de la BnF sont fermés les mercredis 25 décembre et 1er janvier.
Le Moyen Âge revisité
Omniprésent dans l’imaginaire contemporain, le Moyen Âge est sans cesse réinventé par les romans, séries, bandes dessinées ou jeux vidéo. Jérémy Chaponneau, chargé de collection de manuscrits médiévaux, revient sur l’histoire du médiévalisme qui fait l’objet de trois conférences à la bibliothèque de l’Arsenal.
Chroniques : Quantité de productions littéraires et artistiques prennent place dans un Moyen Âge imaginaire, idéalisé ou noirci à l’extrême. Comment l’expliquez-vous ?
Jérémy Chaponneau : Dès la fin du XVIIIe siècle, le Moyen Âge a été un objet de fantasmes. Écrivains et artistes se mettent à penser cette période comme une antithèse de leur époque : ils ont la nostalgie d’un monde idéal, d’avant la révolution industrielle, où l’homme était plus proche de la nature. Walter Scott, avec Ivanhoé et son imagerie chevaleresque, popularise le genre du roman médiéval. Dans son sillage, d’autres auteurs utilisent le Moyen Âge comme toile de fond, à l’instar de Victor Hugo avec Notre-Dame de Paris. Mais si le décor et les personnages sont inspirés de la période médiévale, le récit, lui, est ancré dans les préoccupations de l’époque qui le voit naître. Le même phénomène se produit aujourd’hui dans les fictions qui ont le Moyen Âge pour cadre. L’étude du médiévalisme a connu un profond renouveau ces dernières décennies, avec de nombreuses publications scientifiques, comme par exemple le Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire paru en 2022. Cette actualité nous a incités à concevoir un cycle sur le médiévalisme – et la bibliothèque de l’Arsenal semblait un lieu tout indiqué pour cela !
De fait, la bibliothèque de l’Arsenal n’est pas étrangère à l’émergence du médiévalisme…
En effet, elle a joué un rôle capital dans cette recréation du Moyen Âge, à travers deux grandes figures. D’abord celle du marquis de Paulmy, fondateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Passionné de littérature médiévale, il se lance en 1775 dans l’édition de romans médiévaux à partir de sa riche collection de manuscrits. Ce faisant, il promeut l’idéal chevaleresque pour redorer l’image de la noblesse, fort écornée en cette fin de l’Ancien Régime, comme le racontait la première séance du cycle, à réécouter en podcast. La seconde figure est celle de Charles Nodier, père spirituel des Romantiques, lui-même auteur de récits médiévalistes. Bibliothécaire en chef de l’Arsenal, il y tient l’un des salons littéraires les plus influents de l’époque, où il reçoit Hugo, Dumas, Balzac. Le Moyen Âge des Romantiques, et de Nodier en particulier, fera l’objet de la deuxième conférence.
Des séries comme Kaamelott, Game of Thrones, un jeu vidéo comme Zelda sont les preuves d’une fascination toujours intacte pour le Moyen Âge. Comment expliquer la persistance de cet intérêt ?
Cela tient sans doute à la capacité de ce Moyen Âge fantasmé à absorber les obsessions et inquiétudes contemporaines. Au XXe siècle, par exemple, le médiévalisme est alimenté par les craintes que fait naître la fin du monde paysan puis par une prise de conscience écologique. Le fondateur de la fantasy, Tolkien, projette dans Le Hobbit ses doutes sur la réaction des hommes face aux barbaries du XXe siècle. La création d’un univers où le lien à la réalité historique est très plastique permet de construire des héros qui incarnent des valeurs différentes selon les époques ou les auteurs, comme la figure du roi Arthur, aujourd’hui encore très ambivalente. Vincent Ferré reviendra sur ces questions dans la troisième séance. Il y évoquera aussi les représentations actuelles du Moyen Âge, dans lesquelles – signe des temps – le christianisme a presque disparu et la guerre est omniprésente, mais où règnent souvent la fantaisie et l’humour les plus débridés, pour notre plus grand plaisir !
Propos recueillis par Karine Moreaux
Entretien paru dans Chroniques n° 99, janvier-mars 2024