Vanité de la géométrie ? Euler et les jets d’eau de Sans-Souci
13 fév. 2013 Durée : 57 min
Beaucoup ont entendu parler de l’immense oeuvre mathématique du mathématicien suisse Leonhard Euler (Bâle 1707-Saint-Pétersbourg 1783), dont Laplace disait « Lisez Euler, lisez Euler, c’est notre maître à tous ». Mathématicien, physicien, ingénieur, astronome et philosophe, européen bien avant l’heure, il a vécu à Bâle, Saint-Pétersbourg et Berlin, au service de rois et de tsars, à l’époque de l’Europe des Lumières et des académies scientifiques. Invité par le roi de Prusse Frédéric II en 1741, Euler est resté en poste à l’académie de Berlin pendant vingt-cinq ans. En 1748, Frédéric II confia à Euler la conception des jets d’eau de son palais de Sans-Souci ; voici ce que, longtemps plus tard, ce prince écrivit à Voltaire, en janvier 1778 : « Je voulus faire un jet d’eau dans mon jardin; Euler calcula l’effort des roues pour faire monter l’eau dans un bassin, d’où elle devait retomber par des canaux, afin de jaillir à Sans-Souci. Mon moulin a été exécuté géométriquement, et il n’a pu élever une goutte d’eau à cinquante pas du bassin. Vanité des vanités! vanité de la géométrie ! » Ce commentaire acerbe repose l’éternelle question de la relation des mathématiciens au monde concret. En fait, selon l’historien des sciences Michael Eckert, Euler avait fourni un rapport précis et pertinent au roi qui, soucieux de réduire les dépenses, n’en a pas tenu compte sérieusement.Bien au-delà de la conception des jets d’eau du palais de Sans-Souci, Euler écrit en 1755 un texte remarquable de lucidité et de modernité, publié par l’Académie des sciences de Berlin en 1757, où il se propose de « rechercher les principes généraux sur lesquels toute la science des fluides est fondée (…) de sorte que s’il y reste des difficultés, ce ne sera pas du côté de la méchanique, mais uniquement du coté de l’analytique ». En établissant les « équations d’Euler », il donne une base mathématique toujours valable aujourd’hui à la mécanique des fluides, une des sciences de la nature les plus importantes. Elle décrit en effet, entre autres, le mouvement de l’atmosphère et de l’océan, et pose, au travers de la question de la turbulence hydrodynamique, l’un des problèmes majeurs de la physique contemporaine. Chemin faisant, Euler défie aussi les mathématiciens des siècles à venir. En effet, les équations qu’Euler a posées en 1757 ne sont toujours pas résolues, malgré les efforts de très nombreux mathématiciens depuis près de 250 ans.
Beaucoup ont entendu parler de l’immense oeuvre mathématique du mathématicien suisse Leonhard Euler (Bâle 1707-Saint-Pétersbourg 1783), dont Laplace disait « Lisez Euler, lisez Euler, c’est notre maître à tous ». Mathématicien, physicien, ingénieur, astronome et philosophe, européen bien avant l’heure, il a vécu à Bâle, Saint-Pétersbourg et Berlin, au service de rois et de tsars, à l’époque de l’Europe des Lumières et des académies scientifiques. Invité par le roi de Prusse Frédéric II en 1741, Euler est resté en poste à l’académie de Berlin pendant vingt-cinq ans. En 1748, Frédéric II confia à Euler la conception des jets d’eau de son palais de Sans-Souci ; voici ce que, longtemps plus tard, ce prince écrivit à Voltaire, en janvier 1778 : « Je voulus faire un jet d’eau dans mon jardin; Euler calcula l’effort des roues pour faire monter l’eau dans un bassin, d’où elle devait retomber par des canaux, afin de jaillir à Sans-Souci. Mon moulin a été exécuté géométriquement, et il n’a pu élever une goutte d’eau à cinquante pas du bassin. Vanité des vanités! vanité de la géométrie ! » Ce commentaire acerbe repose l’éternelle question de la relation des mathématiciens au monde concret. En fait, selon l’historien des sciences Michael Eckert, Euler avait fourni un rapport précis et pertinent au roi qui, soucieux de réduire les dépenses, n’en a pas tenu compte sérieusement.Bien au-delà de la conception des jets d’eau du palais de Sans-Souci, Euler écrit en 1755 un texte remarquable de lucidité et de modernité, publié par l’Académie des sciences de Berlin en 1757, où il se propose de « rechercher les principes généraux sur lesquels toute la science des fluides est fondée (…) de sorte que s’il y reste des difficultés, ce ne sera pas du côté de la méchanique, mais uniquement du coté de l’analytique ». En établissant les « équations d’Euler », il donne une base mathématique toujours valable aujourd’hui à la mécanique des fluides, une des sciences de la nature les plus importantes. Elle décrit en effet, entre autres, le mouvement de l’atmosphère et de l’océan, et pose, au travers de la question de la turbulence hydrodynamique, l’un des problèmes majeurs de la physique contemporaine. Chemin faisant, Euler défie aussi les mathématiciens des siècles à venir. En effet, les équations qu’Euler a posées en 1757 ne sont toujours pas résolues, malgré les efforts de très nombreux mathématiciens depuis près de 250 ans.