Peter Brook, le théâtre du monde
La Rotonde du musée de la BnF accueille jusqu’au 5 octobre 2025 une présentation de documents issus des fonds Peter Brook conservés au département des Arts du spectacle. S’y donne à voir l’histoire du théâtre des Bouffes du Nord, haut lieu du spectacle vivant qui a accueilli, sous la direction de Brook, des comédiens et musiciens venus du monde entier.
Peter Brook (1925-2022) est un metteur en scène à la renommée internationale quand il s’établit à Paris en 1970, désireux de travailler à de nouveaux moyens d’expression théâtrale et de se libérer de toute contrainte commerciale. Avec la productrice Micheline Rozan, il fonde le Centre international de recherches théâtrales, qui rassemble acteurs et actrices d’horizons divers avec lesquels il parcourt l’Iran, l’Afrique de l’Ouest et les États-Unis pendant quatre ans en quête d’une nouvelle façon de faire du théâtre.
S’ancrer dans un « espace vide »
En 1974, Brook décide de donner à ses recherches un ancrage aux Bouffes du Nord, théâtre parisien désaffecté depuis vingt ans. Après les travaux de réhabilitation qu’il mène avec Micheline Rozan, le théâtre, en mesure d’accueillir de nouveau du public, garde néanmoins visibles les marques du temps : le lieu doit ainsi pouvoir évoquer cet « espace vide », vierge des convenances théâtrales et propice à libérer l’imagination, que Brook avait théorisé en 1968. Le théâtre ouvre le 15 octobre 1974, avec la mise en scène de Timon d’Athènes par Brook, première création de son nouveau Centre international de créations théâtrales (CICT).
L’aventure collective des Bouffes du Nord
Les Bouffes du Nord accueilleront dès lors l’ensemble des mises en scène de Brook, dont plusieurs, à l’image de La Conférence des oiseaux (1979), du Mahâbhârata (1985), de La Tempête (1990) ou encore de Tierno Bokar (2004), auront un retentissement international et marqueront l’histoire du théâtre occidental. Pendant près de cinquante ans, acteurs et actrices de toutes langues et nationalités (Miriam Goldschmidt, Sotigui Kouyaté, Bruce Myers, Yoshi Oida), auteurs et autrices travaillant sur des textes du monde entier (Jean-Claude Carrière, Marie-Hélène Estienne) poursuivent les recherches théâtrales entamées par Brook en 1970 et transforment un petit théâtre parisien en un lieu de création intense.
C’est cette aventure collective qu’évoquera la nouvelle Rotonde du musée, du 12 avril au 5 octobre 2025, à l’occasion du centenaire de la naissance de Peter Brook. Y seront présentées pour la première fois au public, aux côtés des photographies et documents manuscrits, plusieurs traces emblématiques des spectacles de Brook : le masque de Ganesha, le dieu érudit à tête d’éléphant, porté lors de la tournée du Mahâbhârata en 1987, quatre marionnettes manipulées dans La Conférence des oiseaux (1979), le bateau et les masques figurant dans La Tempête (1990), ou encore l’éclatant costume de Mélisande porté dans l’opéra Impressions de Pelléas (1992).
L’un des plus importants fonds Brook au monde
Ces éléments ont rejoint les collections du département des Arts du spectacle grâce à plusieurs dons importants : d’abord, en 2021, celui de Jean-Guy Lecat, directeur technique du CICT de 1976 à 2000, suivi en 2023 de celui du théâtre des Bouffes du Nord, qui donne un ensemble volumineux de textes, programmes, affiches, photographies, presse et captations, ainsi qu’une sélection de cinquante objets et vingt-deux costumes. Marie-Hélène Estienne, autrice et metteuse en scène, collaboratrice constante de Peter Brook, avec qui elle cosigne ses dernières mises en scène, fait enfin don en 2024 d’un précieux ensemble de manuscrits et de photographies. Grâce à leur générosité, le département des Arts du spectacle se trouve désormais en possession du plus important fonds au monde documentant la carrière de Peter Brook depuis 1970, qui vient compléter celui du Victoria and Albert Museum sur sa carrière anglaise. Intégralement décrit dans le catalogue Archives et manuscrits, il sera sans conteste d’un grand intérêt pour la recherche.
Anne-Lise Michaud
Article paru dans Chroniques n° 103, avril-juillet 2025