Saint-Simon penseur de l’innovation
À l’occasion du bicentenaire de la mort du philosophe, un colloque revisite les écrits et la pensée de Saint-Simon (1760 -1825). Pierre Musso, auteur de nombreux ouvrages sur son œuvre et qui a récemment dirigé l’édition de sa correspondance, a organisé ces deux journées, dont la première se tient à la bibliothèque de l’Arsenal. Chroniques l’a rencontré.
Chroniques : L’œuvre de Saint-Simon a influencé de nombreux courants intellectuels et idéologiques…
Pierre Musso : Du socialisme au libéralisme en passant par le positivisme, le proudhonisme ou l’anarchisme, la plupart des grands courants du XIXe et du XXe siècles ont puisé dans la pensée de Saint-Simon. La richesse et la complexité de son œuvre ont suscité de multiples interprétations. Il a été qualifié par Engels de « socialiste utopique », puis certains ont vu en lui le père du management, d’autres de la technocratie… La publication de ses œuvres complètes permet aujourd’hui d’embrasser l’ensemble de ses écrits et d’approfondir notamment sa vision de la question industrielle. Cette question traverse l’histoire de la philosophie en Occident, en particulier dans ce qu’on appelle la modernité, à partir de Descartes et Bacon, jusqu’à Hannah Arendt ou Simone Weil.
Comment voit-il le rôle de l’industrie dans la société ?
L’une des grandes idées de Saint-Simon, c’est que l’industrie est l’affaire de la société et que la « société industrielle », terme dont il est l’inventeur, est porteuse d’une force extraordinaire de production, de création, d’innovation. Il a vu aussi que la Révolution française n’a pas abouti à un nouveau système social, que la société est restée héritière des institutions d’Ancien Régime. Et surtout, il croit au potentiel de la révolution industrielle qui est à ses débuts et dont il pense qu’elle va pousser la société à se réinventer. Pour lui, celle-ci peut d’ailleurs se gérer et même se transformer sans que le politique ou l’État interviennent autrement que de façon marginale. Pour mieux faire passer ses idées, il utilise des fictions, des images symboliques. Il oppose ainsi les « abeilles » – les élites actives et productives de la Nation – et les « frelons » – famille royale, hauts fonctionnaires et clergé, dont la disparition serait, dit-il, sans effet sur la vie et la prospérité du pays. Saint-Simon a été traduit en cour d’Assises en 1820 pour cette parabole… et acquitté.
Henri Saint-Simon est davantage un réformateur, un innovateur, qu’un révolutionnaire ?
En effet. Même s’il promeut le renouvellement des institutions, Saint-Simon reste attaché par exemple à l’idée que la religion est indispensable pour maintenir le lien social. C’est ce qui le conduit à jeter les bases, à la fin de sa vie, du Nouveau Christianisme, destiné à devenir le fondement spirituel d’une nouvelle société. Le colloque fera le point sur cet aspect. Par ailleurs, une table ronde réunira des responsables de grandes entreprises et des chercheurs qui débattront sur la manière dont les idées de Saint-Simon peuvent encore nous inspirer aujourd’hui pour penser ensemble l’industrie et la société.
Propos recueillis par Sylvie Lisiecki
Article paru dans Chroniques n° 103, avril-juillet 2025