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Violette Leduc (1907-1972)
« passion de l’impossible »
Car le changement des représentations va encore au-delà. « Le désir et le plaisir sexuels sont racontés par Leduc de façon inédite car en marge de la logique de la domination masculine et de la séduction féminine » dont la séduction entre femmes. Thérèse et Isabelle ne cherchent pas à se séduire. Libérée de cette contrainte, l’autrice peut dépeindre leur relation dans ce qu’elle a de sensuel mais aussi de sentimental, de tendre et d’émouvant, de direct et de sincère. Le récit de défloration et de découverte de la sexualité par de jeunes femmes échappe à la pornographie par sa poésie, car Leduc ne cherche pas à choquer, mais à décrire au plus juste. Pour cela, elle convoque métaphores, images poétiques, synesthésies.
« Je m’envolai, je pris avec mon bec les flocons de laine accrochés aux épines de haies, je les mis sur les épaules d’Isabelle. Je tapotais ses os avec mes marteaux duveteux, mes baisers dévalaient les uns au-dessus les autres, je me lançais dans un éboulis de tendresse. Mes mains relayèrent mes lèvres fatiguées : je modelai le ciel autour de son épaule ».
« Nous avons effleuré et survolé nos épaules avec les doigts fauves de l’automne. Nous avons lancé à grands traits la lumière dans les nids, nous avons éventé les caresses, nous avons créé des motifs avec de la brise marine, nous avons enveloppé de zéphyrs nos jambes, nous avons eu des rumeurs de taffetas aux creux de nos mains ».
La matérialité s’incarne dans l’onirisme. L’imagination, le fantasme viennent sublimer le réel. Dans les hésitations de leur adolescence, par définition passage entre deux mondes, la relation fulgurante entre les personnages reflète les tourments existentiels et les incertitudes de l’autrice : toujours en tension entre l’absence et la présence de l’autre, entre l’amour et la possession, ce qu’elle qualifie de « passion de l’impossible ».
« audace retenue »
Ce style particulier, Simone de Beauvoir le qualifie d’ « audace retenue », dans un « langage sans mièvrerie ni vulgarité » : « L’audace retenue de Violette Leduc est une de ses plus saisissantes qualités, mais qui l’a sans doute desservie : elle scandalise les puritains, et la chiennerie n’y trouve pas son compte » (préface de La Bâtarde, premier volet de la trilogie autobiographique de Leduc). C’est aussi ce qui a dérouté les éditeurs : ne pas savoir dans quelle catégorie classer ce récit, compliquant par suite le travail de l’éditeur : à qui le destiner, comment le promouvoir, etc.
Beauvoir, toujours dans cette préface, envisage le « cas » de Violette Leduc à la lumière de l’existentialisme. Selon elle, il « montre avec une exceptionnelle clarté qu’une vie, c’est la reprise d’un destin par une liberté ». Or, la fin de Thérèse et Isabelle illustre ce principe, en négatif : Thérèse est retirée du collège par sa mère et séparée définitivement d’Isabelle :
« Ma mère me reprit.
Je ne revis jamais Isabelle ».
En deux phrases sans transition, d’une rude sécheresse après les espoirs nourris de lyrisme, l’autrice fait retomber les jeunes femmes dans le déterminisme social, sous le poids des conventions patriarcales, incarnées par la mère, qui ne laisse pas aux femmes le choix de leur sexualité.
Violette Leduc ouvre ainsi la voie (la voix) à Monique Wittig, à Virginie Despentes.
Pour aller plus loin
Au Département des Manuscrits
Violette Leduc. Thérèse et Isabelle, dactylographie corrigée. NAF 28992.
Dans la salle H
2 éditions de Thérèse et Isabelle :
- Gallimard, 1972. 119 p. Reprise dans la collection Folio de l’édition de 1966.
- Gallimard, 2000. 138 p. Texte intégral. Postface et notes de Carlo Jansiti.
et également :
- Brioude, Mireille ; Frantz, Anaïs ; Péron, Alison (dir.). Lire Violette Leduc aujourd’hui. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2017. 249 p.
- Frantz, Anaïs (dir.). Violette Leduc : genèse d’une œuvre censurée. Paris : Presses Sorbonne nouvelle, 2019. 247 p.
- Leduc, Violette ; Viollet, Catherine ; Franz, Anaïs. Aimer, c’est écrire et vice versa : Violette Leduc, passionnément. Donnemarie-Dontilly : éditions iXe, 2022. 182 p. [À paraître]
- Leduc, Violette ; Jansiti, Carlo. Correspondance 1945-1972. Paris : Gallimard, 2007. 500 p.
- Violette Leduc à la BnF
Voir aussi en ligne
- Association des amis de Violette Leduc. Site Violette Leduc : actualité de la recherche sur l’autrice.
- Groupe de recherche Violette Leduc à l’ITEM.
- Frantz, Anaïs : « Violette Leduc, l’amour censuré de Thérèse et Isabelle ». France Culture, 23 juin 2020. 58 min.
- « Violette Leduc ». France Culture, 20 février 2000. 59 min.