Depuis plusieurs années, la BnF accueille ces Cours méthodiques et populaires de philosophie qui permettent à toutes et tous de se familiariser avec la philosophie, son histoire, ses auteurs, ses concepts. Ce cycle de conférences dédiées à des questions philosophiques est conçu par François Jullien, titulaire de la Chaire sur l’altérité à la Fondation Maison des sciences de l’homme.
« La belle formule de Claudel «l’œil écoute», à propos de la peinture hollandaise, me fournit un nouveau biais pour dénoncer le privilège accordé par la pensée européenne au visuel. Même la phénoménologie, en pensant revenir à l’expérience originaire, n’y échappe pas.
Pour m’en décaler, dé-coïncider de cet atavisme, je passerai par la pensée chinoise qui a accordé la priorité à l’ouïe plutôt qu’à la vue. Elle nous apprend à écouter, non pas avec l’oreille, mais avec l’esprit ; non pas avec l’esprit, mais avec le «souffle-énergie». L’écoute devient alors la capacité de pouvoir, sur le mode du «vide» et de la respiration, se rapporter au monde.
De là, je considérerai comment la pensée moderne, en Europe, a voulu croiser les fonctions des sens pour les sortir de leur exclusion : l’œil «parle» ( Levinas ); il » palpe» (Merleau-Ponty) ; il «touche» (Deleuze)… Car il faut à tout prix faire sortir la vue de sa seule fonction de connaissance par objectivation.
Or la vue est le sens du local et du discontinu ; l’ouïe du global et du continu : l’œil se projette sur un point du monde pour y chercher à identifier ; l’oreille reçoit, dans son cornet, tout ce qui vient sans fin des vibrations du monde.
Or, ne pourrait-on pas, renversant ces attributions, penser la vue à partir de l’ouïe : la concevoir comme disponibilité à accueillir, et d’abord sans plus séparer le sujet et l’objet : par corrélation et coopération entre le monde et soi?
N’est-ce pas ainsi que nous contemplons un paysage ou la peinture ? »
Depuis plusieurs années, la BnF accueille ces Cours méthodiques et populaires de philosophie qui permettent à toutes et tous de se familiariser avec la philosophie, son histoire, ses auteurs, ses concepts. Ce cycle de conférences dédiées à des questions philosophiques est conçu par François Jullien, titulaire de la Chaire sur l’altérité à la Fondation Maison des sciences de l’homme.
« La belle formule de Claudel «l’œil écoute», à propos de la peinture hollandaise, me fournit un nouveau biais pour dénoncer le privilège accordé par la pensée européenne au visuel. Même la phénoménologie, en pensant revenir à l’expérience originaire, n’y échappe pas.
Pour m’en décaler, dé-coïncider de cet atavisme, je passerai par la pensée chinoise qui a accordé la priorité à l’ouïe plutôt qu’à la vue. Elle nous apprend à écouter, non pas avec l’oreille, mais avec l’esprit ; non pas avec l’esprit, mais avec le «souffle-énergie». L’écoute devient alors la capacité de pouvoir, sur le mode du «vide» et de la respiration, se rapporter au monde.
De là, je considérerai comment la pensée moderne, en Europe, a voulu croiser les fonctions des sens pour les sortir de leur exclusion : l’œil «parle» ( Levinas ); il » palpe» (Merleau-Ponty) ; il «touche» (Deleuze)… Car il faut à tout prix faire sortir la vue de sa seule fonction de connaissance par objectivation.
Or la vue est le sens du local et du discontinu ; l’ouïe du global et du continu : l’œil se projette sur un point du monde pour y chercher à identifier ; l’oreille reçoit, dans son cornet, tout ce qui vient sans fin des vibrations du monde.
Or, ne pourrait-on pas, renversant ces attributions, penser la vue à partir de l’ouïe : la concevoir comme disponibilité à accueillir, et d’abord sans plus séparer le sujet et l’objet : par corrélation et coopération entre le monde et soi?
N’est-ce pas ainsi que nous contemplons un paysage ou la peinture ? »