Le rôle de Joseph Van Praet pendant la Révolution et l’Empire est essentiel pour l’enrichissement des collections de la Bibliothèque nationale. Créateur de la Réserve, bibliographe, il est jusqu’à sa mort le véritable « catalogue vivant » des collections imprimées. Sa longue carrière à la Bibliothèque a été fondamentale dans l’évolution de l’établissement.
Parcours et biographie
Fils de Joseph Van Praet (1724-1792), imprimeur-libraire à Bruges, il est employé chez le libraire Desaint, puis chez Guillaume Debure. Il est engagé le 1er juillet 1784 par l’abbé Desaulnays, garde des Imprimés, y devient lui-même conservateur en 1792 et passe à la Bibliothèque cinquante-trois ans de sa vie. Membre de l’Institut en 1830 (Académie des inscriptions et belles lettres), il préside le Conservatoire en 1830 et 1831, puis quelques mois en 1832.
Pendant la Révolution, il multiplie par trois le fonds dont il a la charge : le nombre d’imprimés de la Bibliothèque nationale passe de 300 000 à plus d’un million. Il effectue des choix habiles dans les dépôts littéraires de Paris et de Versailles. Après l’incendie de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (19-20 août 1794), il parvient à obtenir une partie de ses fonds, passant plusieurs jours dans les caves de l’abbaye ruinée. Enfin, il en profite pour acheter des ouvrages en librairie ou en vente publique.
Buste de marbre de Joseph Van Praet, © BnF
Il obtient pour la Bibliothèque nationale des bibliothèques entières au fur et à mesure de l’avancée des troupes françaises en Europe, notamment en Italie. Au moment de rendre les livres ainsi obtenus, il se trouva que de nombreux livres avaient été opportunément « égarés ». Parfois, des exemplaires de la Bibliothèque nationale, moins bien conservés, furent substitués au véritable exemplaire confisqué. Un réseau de savants informateurs lui signalent également les bibliothèques privées proposées à la vente. Il entretient ainsi une copieuse correspondance et achète des ouvrages de très importantes bibliothèques privées pour le compte de la Bibliothèque nationale, comme lors de la vente Loménie de Brienne (1792), de la vente Panzer (1807) et de la vente du comte MacCarthy (1817).
Son rôle dans l’accroissement des collections, sa longue présence à la Bibliothèque nationale et sa science bibliographique en font longtemps un interlocuteur obligé pour la consultation des ouvrages anciens de la Bibliothèque nationale. À une époque où de nombreux livres ne sont pas catalogués, on le qualifie parfois de « catalogue vivant ». Lui-même s’intéresse particulièrement aux incunables et aux livres sur vélin, dont il donne une bibliographie.
Au fil de ses visites dans les magasins, Van Praet y repère un grand nombre d’ouvrages très précieux qu’il juge prudent de classer à part, dans des fonds particuliers : vélins, incunables, éditions annotées, riches reliures, etc. Ainsi naît la notion de « réserve » : chaque type de livre donne lieu à la création d’une « réserve », jusqu’à ce que l’ensemble de ces collections soit rassemblé dans un local unique, en 1836. Van Praet lègue sa propre collection de vélins à la Bibliothèque nationale.
En hommage au créateur de la Réserve, le nom de « Salle Van Praet » a été conféré à la salle de présentation et de réception de la Réserve des livres rares.
A propos des critères de sélection de Joseph Van Praet
L’idée qu’il convient, au sein d’une bibliothèque, de mettre à part les ouvrages les plus précieux semble aujourd’hui aller de soi. Il n’en fut pas toujours ainsi et l’élaboration du concept de « réserve » est postérieure à sa mise en œuvre dans les grandes bibliothèques comme la Bibliothèque nationale. Joseph Van Praet peut à ce titre être considéré comme un précurseur dans l’histoire des bibliothèques publiques françaises.
La naissance de la Réserve se situe dans le contexte historique de la Révolution et de l’Empire. Cette période correspond à un afflux considérable de livres à la Bibliothèque nationale, provenant des fonds ecclésiastiques confisqués, des collections d’émigrés et de condamnés, ainsi que de bibliothèques de territoires conquis par les armées de la République et de l’Empire. Face à cet afflux, il devient nécessaire d’opérer un tri et donc d’élaborer des critères de sélection.
Dès août 1792, la Commission des monuments (c’est-à-dire des biens nationaux) détaille les critères désignant pour les bibliothèques publiques les livres les plus dignes d’être retenus dans la masse des volumes qui encombrent les dépôts littéraires :
Il est probable que ces critères soient de Joseph Van Praet lui-même : deux ans plus tard, dans un mémoire au Comité d’instruction publique de la Convention nationale, ceux qu’il énonce pour le choix des livres que la Bibliothèque nationale doit acquérir en priorité sont fort voisins. Van Praet définit ainsi en 1794 les quatre types de « monuments typographiques » que la Bibliothèque nationale doit chercher à acquérir en priorité :
Ces critères, est-il ajouté, s’appliquent également aux livres « nouvellement imprimés ».
Il importe de souligner la permanence des critères de sélection de la Réserve tels qu’ils ont été formulés en 1792 et 1794 : adaptés à l’évolution des techniques au cours des XIXe et XXe siècles, ils sont restés en vigueur jusqu’à aujourd’hui.