Pour rappel, tous les sites de la BnF sont fermés le mercredi 1er janvier.
La Bibliothèque nationale de France et l’Institut du monde arabe (IMA) s’associent pour organiser un colloque sur la question de l’opposition des intellectuels à la colonisation et à la guerre d’Algérie. Celui-ci répond à l’une des recommandations du rapport remis en janvier 2021 au président de la République par Benjamin Stora, historien spécialiste du Maghreb, sur les enjeux mémoriels de la guerre d’Algérie et le travail de vérité et de réconciliation nécessaire entre la France et l’Algérie. La seconde journée se tient à la BnF.
La notion d’intellectuel est ici entendue de façon extensive, renvoyant non seulement à des penseurs, des écrivains, mais aussi à des artistes, journalistes, magistrats, avocats et membres de la société civile. Les interventions s’attacheront à replacer ce conflit, qui opposa en Algérie les nationalistes algériens au pouvoir d’État français, dans le temps long de la colonisation. Il reviendra également sur des figures emblématiques de la diversité des prises de position durant cette période, y compris sur le plan international en présentant des figures venant du Maghreb ou d’Europe, sans oublier des parcours iconoclastes et les démarches qui ont visé à sortir des oppositions bloc à bloc.
« […] les noms et les trajectoires de ceux qui ont refusé le système colonial doivent être portés à la connaissance des jeunes générations, pour que l’on sorte des mémoires séparées, communautarisées. »
Benjamin Stora
Programme
9 h 15 : Mot d’accueil de Laurence Engel, présidente de la BnF
9 h 30 - 11 h : Figures du contact
Des engagements divergents d’intellectuels face à la guerre d’Algérie : Raymond Aron et Jacques Soustelle
Par Guy Pervillé (professeur honoraire, université de Toulouse Le Mirail)
Dès novembre 1955, l’ancien intellectuel de gauche Jacques Soustelle avait très fermement répondu à un manifeste contre la guerre d’Algérie. Par la suite, il fut à l’origine d’un manifeste « pour le salut et le renouveau de l’Algérie française ». Raymond Aron prit une position à première vue semblable dans une pétition de professeurs à la Sorbonne publiée le 23 mai 1956. Mais sa véritable position fut révélée un an plus tard quand il publia La Tragédie algérienne, plaidoyer rationnel pour l’inévitabilité de l’indépendance.
Guy Pervillé, professeur émérite des universités, a publié de nombreuses recherches sur l’histoire de l’Algérie contemporaine et de la guerre d’Algérie, notamment son dernier livre : Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire (Paris, éditions Vendémiaire, 2018).
Des intellectuels universitaires de l’entre deux : André Mandouze, Jacques Pereyga et Jean Leca
Par Aïssa Kadri (professeur honoraire, université Paris 8)
La communication portera sur les conditions d’engagement de quelques personnalités représentatives des groupes de l’entre-deux ; conditions subreptices, inattendues ou prédéterminées par leurs trajectoires, de basculement vers la dénonciation de la répression et le soutien à la lutte du peuple algérien.
Aïssa Kadri a notamment préfacé l’ouvrage de Michel Kelle, 5 figures de l’émancipation algérienne, des modèles pour un renouveau des rapports franco-algériens (Karthala, 2013).
Jean-Jacques Servan-Schreiber, le refus du silence
Par Christian Delporte (professeur émérite, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)
La communication évoquera l’infatigable engagement de Jean-Jacques Servan-Schreiber pour la paix en Algérie et contre la torture. Dès 1954, L’Express, qu’il vient de créer, prend clairement position dans le conflit qui commence, notamment grâce aux plumes de Camus, Mauriac, Daniel et Servan-Schreiber lui-même qui, rappelé en 1956 avec le grade de lieutenant, sert près d’Alger sous les ordres du général de La Bollardière. Démobilisé et de retour à L’Express, il y témoigne de son expérience militaire en Algérie, ce qui lui vaut d’être inculpé pour « atteinte au moral de l’armée ». L’Express est saisi plusieurs fois.
Spécialiste d’histoire politique et d’histoire des médias, Christian Delporte est président de la Société pour l’histoire des médias (SPHM) et directeur de la revue Le Temps des médias. Ses derniers livres publiés sont Charlie Hebdo, la folle histoire d’un journal pas comme les autres (Flammarion, 2020) ; Philippe Henriot. La résistible ascension d’un provocateur (Flammarion, 2018) ; 100 ans de journalisme. Une histoire du Syndicat national des journalistes (Nouveau-monde Éditions, 2018).
La résistance morale dreyfusarde : Paul Ricoeur et Pierre Vidal-Naquet
Par François Dosse (université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne / Sciences Po Paris)
Paul Ricœur, philosophe appartenant à la mouvance des chrétiens progressistes de la revue Esprit prend position dès 1947 pour l’émancipation nationale des Algériens, mais ce sont surtout les révélations sur la torture en 1957 qui vont susciter son engagement contre la guerre d’Algérie. De son côté, l’historien Pierre Vidal-Naquet, intellectuel dreyfusard, meurtri pour toujours par la disparition de ses parents à Auschwitz en 1944, s’engage tôt contre la guerre d’Algérie et notamment contre l’usage de la torture.
François Dosse est professeur émérite de l’université Paris 12 et chercheur associé à l’IHTP (Institut d’histoire du temps présent). Il est l’auteur d’ouvrages sur l’histoire intellectuelle de la France, d’historiographie et de biographies de Paul Ricœur, Michel de Certeau, Gilles Deleuze & Félix Guattari, Cornélius Castoriadis, Pierre Nora et Pierre Vidal-Naquet. Ses derniers ouvrages sont La Saga des intellectuels français, 1944-1989 (2 vol. Gallimard, 2018) ; Pierre Vidal-Naquet (La Découverte, 2020) ; Amitiés philosophiques (Odile Jacob, 2021).
Présentation du fonds Germaine Tillion sur l’Algérie à la BnF
Par Laurence Le Bras (conservatrice des bibliothèques)
11 h 30 – 13 h : Engagements intellectuels
François Mauriac
Par Jean-Luc Barré (éditeur et écrivain)
Albert Camus
Par Benjamin Stora (professeur honoraire, université Sorbonne Paris Nord)
Comprendre l’humanisme politique de Germaine Tillion
Par Tassadit Yacine (EHESS)
Germaine Tillion a été parmi les rares femmes à s’intéresser à la guerre d’Algérie et à s’impliquer dans le combat que livrent les algériens aux Français. L’engagement de cette grande figure ne s’enracine pas dans une position « politique » mais dans sa formation d’ethnologue et son passé de résistante : être au plus près des dominés en leur attribuant l’essentiel pour vivre. Seule à animer les centres sociaux par exemple et à avancer des arguments à contre-courant de la pensée dominante, Germaine Tillion prône en réalité un humanisme politique qui lui est bien spécifique.
Télécharger la bibliographie de Germaine Tillion
Tassadit Yacine est anthropologue, spécialiste des sociétés berbères. Elle tente de comprendre les mécanismes de domination culturels et de genres en période coloniale. Ses derniers ouvrages publiés sont : Avec Mouloud Mammeri (textes recueillis et présentés par Hafid Adnani, Paris, Non Lieu, 2018) ; Femmes berbères de part et d’autre de la Méditerranée (Paris, Non Lieu, 2018) ; Germaine Tillion, une ethnologue engagée (Paris, Non Lieu, 2019).
14 h 30 – 16 h 30 : Figures littéraires de l’entre-deux
Le numéro spécial Algérie, coordonné par Jean Sénac et publié par Jean Digot et Jean Subervie (février 1957)
Par Christiane Chaulet Achour (professeure honoraire, université Paris Cergy)
Il s’agira de resituer ce numéro dans le contexte de 1957, année charnière, et du rôle joué par Jean Sénac dans la résistance au colonialisme ; il s’agira aussi d’analyser les nombreuses contributions d’écrivains et de peintres algériens qui le composent ainsi que la position de l’éditeur français.
Christiane Chaulet Achour a publié de nombreuses articles et ouvrages sur la littérature algérienne. Elle collabore régulièrement à la Revue A et à la revue culturelle en ligne Diacritik. Elle a publié avec Jamel-Eddine Bencheikh Jean Sénac, Clandestin des deux rives (Biarritz, éditions Séguiers, 1999).
Emmanuel Roblès, la Fédération des libéraux et Espoir-Algérie : quelques portraits
Par Guy Dugas (professeur honoraire, université Montpellier 3)
Popularisé en 1955-1956, le mouvement des libéraux recouvre en réalité différents groupes œuvrant depuis le début de la guerre pour une solution médiane entre Algérie française et Algérie indépendante. À la suite du fameux appel d’Albert Camus en faveur d’une trêve civile (22 janvier 1956), Emmanuel Roblès prend l’initiative de réunir tous ces mouvements en une Fédération des libéraux d’Algérie qui aura avec Espoir-Algérie son organe d’information. C’est l’histoire de cette éphémère fédération qui sera ici brièvement racontée, en même temps que seront dressés les portraits de quelques-uns de ses animateurs algériens et français.
Kateb Yacine, ou l’intellectuel algérien en poète
Par Catherine Milkovitch-Rioux (université Clermont Auvergne)
C’est dans un contexte d’émergence générationnelle d’intellectuels algériens de langue française que Nedjma paraît en 1956, couvrant la période antérieure (1945-1954) et évoquant les émeutes du 8 mai 1945. La violence de ces événements porte selon Kateb les ferments de la guerre d’indépendance et constituent le renforcement d’une conscience politique, dont on peut lire les manifestations dans les premiers textes journalistiques (Minuit passé de douze heures. Écrits journalistiques (1947-1989), les entretiens (Le Poète comme un boxeur. Entretiens 1958-1989), en écho avec l’œuvre poétique, depuis Soliloques, romanesque et dramatique.
Catherine Milkovitch-Rioux a coordonné plusieurs travaux collectifs, notamment Enfances en guerre. Témoignages d’enfants sur la guerre (Georg éditeur, 2013), Enfants en temps de guerre et littératures de jeunesse (BnF, 2013), Réfugier. Carnets d’un campement urbain (La Boîte à bulles, 2021). Elle a publié Mémoire vive d’Algérie. Littératures de la guerre d’indépendance (Buchet-Chastel, 2012) et dirigé de 2009 à 2013 le projet de l’ANR « Enfance Violence Exil ».
Mouloud Mammeri à la lumière du conflit algérien : un engagement méconnu
Par Hervé Sanson (ITEM CNRS/ENS)
Auteur célèbre de La Colline oubliée, roman précurseur de la littérature maghrébine de langue française paru en 1952 et grand promoteur de la culture berbère, Mammeri n’est pas fréquemment associé à la guerre d’indépendance de son pays. Pourtant, il mena une action réelle au service de la lutte anticoloniale : articles, rapports adressés à l’ONU sous divers pseudonymes, et signa deux romans « engagés » : Le Sommeil du juste (1955) et L’Opium et le bâton (1965).
Membre associé à l’ITEM (CNRS), Hervé Sanson est spécialiste des littératures francophones du Maghreb. Parmi ses dernières publications, il a coordonné un numéro de la revue Europe en 2020 sur Mohammed Dib et collaboré à l’édition du Manuscrit inachevé d’Assia Djebar, publié aux Presses Sorbonne Nouvelle au printemps 2021. Il a, en outre, édité une pièce inédite de Dib, Le Vœu de la septième lune (éditions El Kalima, Alger, 2019).
Jean Amrouche et les « maîtres coloniaux »
Par Nicolas Harrison (King’s College London)
La France comme mythe et comme réalité de Jean Amrouche est publié en janvier 1958. Si ce réquisitoire contre l’ethnocentrisme français et le colonialisme choque les lecteurs du Monde, c’est en partie parce qu’à l’époque Amrouche représente, aux yeux de certains, le comble de l’assimilation coloniale ; et la puissance extraordinaire de son intervention provient non seulement de son acuité politique et philosophique, mais aussi de sa dimension autobiographique.
Nicolas Harrison est notamment l’auteur de Circles of Censorship (Oxford University Press, 1995) ; Postcolonial Criticism: History, Theory and the Work of Fiction (Polity Press, 2003 et 2018) ; Our Civilizing Mission: The Lessons of Colonial Education (Liverpool University Press, 2019).
Présentation du fonds de la photothèque de l’IMA (sous réserve)
17 h – 18 h 30 : Productions artistiques : théâtre, cinéma et arts plastiques
Théâtres empêchés
Par Catherine Brun (université Sorbonne Nouvelle)
Sur la centaine de pièces qui mettent en scène les événements algériens, les trois-quarts sont postérieures aux années 1980, et moins d’une sur cinq est contemporaine de la guerre. C’est que les dramaturges peinent à se faire entendre. Les dramaturges algériens qui écrivent en français et embrassent la cause indépendantiste sont contraints de s’expatrier. Du côté des dramaturges français, les écarts entre date de composition et date de création, les conditions de création, les dates et lieux d’édition témoignent de l’embarras lié aux références algériennes. Le scandale de la mise en scène des Paravents à l’Odéon en 1966 en est une confirmation plus qu’un contre-exemple.
Catherine Brun est professeure de Littératures et Théâtres de langue française à l’université Sorbonne Nouvelle (UMR THALIM). Elle a consacré de nombreux articles et plusieurs ouvrages à l’écriture et la mémoire de la guerre d’indépendance algérienne : Guerre d’Algérie : le sexe outragé (avec T. Shepard dir., 2016) ; Guerre d’Algérie. Les mots pour la dire (dir., 2014) ; Algérie, d’une guerre à l’autre (dir., 2014) ; Engagements et déchirements. Les intellectuels et la guerre d’Algérie (avec O. Penot-Lacassagne, 2012).
Faire la lumière dans les salles obscures : les cinéastes de la Nouvelle Vague face à la guerre d’Algérie
Par Philip Dine (National University of Ireland Galway)
Rejetant le(s) studio(s) et la « tradition de qualité » en faveur de la rue et d’un style documentaire, la « Nouvelle Vague » iconoclaste aborde la transformation socio-économique des « Trente Glorieuses » mais aussi les guerres de décolonisation. Bruit de fond pour certains, évocation allégorique chez d’autres, la guerre d’Algérie deviendra un thème clé pour le groupe « Rive gauche ».
Philip Dine est professeur d’études françaises et francophones à l’Université nationale d’Irlande à Galway. Il est notamment l’auteur de Images of the Algerian War (Oxford University Press, 1994). Ses publications incluent de nombreux articles et chapitres d’ouvrages sur les représentations de l’empire français, et la décolonisation.
Les cinéastes anticolonialistes
Par Ahmed Bedjaoui (université Alger 3)
Le cas le plus connu de cinéaste anticolonialiste est celui de René Vautier qui a toujours revendiqué sa position de militant français opposé à la guerre coloniale. Mais cet exemple ne doit pas occulter le rôle de réalisateurs comme Pierre Clément, Yann le Masson, Cécile Decugis ou encore Jacques Charby.
Ahmed Bedjaoui, lauréat de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC – Paris) est notamment l’auteur de Images et visages (avec Denis Martinez), Cinéma et guerre de libération. Algérie, des batailles d’images, et La Guerre d’Algérie dans le cinéma mondial (éditions Chihab).
Mohamed Khedda et Ernest Pignon Ernest
Par Émilie Goudal (université de Lille)
18 h 45 : Conclusion : Tassadit Yacine et Tramor Quemeneur
Ce colloque est suivi, à 19 h, de lectures d’extraits de Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib par Isild Le Besco
Voir cet événement
Cet événement sera diffusé sur notre chaîne Youtube et sur cette page le 22 janvier à 9 h.
Informations pratiques
Tarif et conditions d’accès
Entrée gratuite – Réservation recommandée via l’application Affluences ou sur affluences.com
Il est recommandé de se présenter en avance (jusqu’à 20 minutes avant la manifestation)
date et Horaires
Samedi 22 janvier 2022
9 h 15 - 19 h
Accès
Bibliothèque François-Mitterrand – Petit auditorium
Entrée Est, face rue Émile Durkheim
Paris 13e