Le prix de la BnF
La Bibliothèque nationale de France a lancé en 2009 un prix annuel qui consacre « un auteur vivant de langue française pour l’ensemble de son œuvre, quelle que soit sa discipline et ayant publié dans les trois années précédentes ». Il « témoigne de la volonté de la Bibliothèque de soutenir la création et la recherche contemporaine française dans tous les domaines de l’écrit », déclare alors Bruno Racine, ancien Président de la BnF.
Ce prix est doté d’un montant de 10 000 €, grâce à l’initiative de Jean-Claude Meyer, président du Cercle de la BnF. Il est en outre assorti d’une bourse de recherche de 5 000 €, puis de 8 000 €, dotée par Madame Nahed Ojjeh, encourageant des travaux de recherche universitaire (master ou doctorat) sur l’œuvre de l’écrivain lauréat du prix.
Dix membres composent un jury nommé pour trois ans et présidé par le président de la BnF.
2023 - Pascal Quignard
Pour sa 14e édition, la Bibliothèque nationale de France a décerné son prix littéraire à Pascal Quignard.
Auteur d’une œuvre considérable et magistrale – Tous les matins du monde, Villa Amalia, Le Sexe et l’Effroi ou le cycle Dernier Royaume, dont le premier tome, Les Ombres errantes, a été récompensé par le prix Goncourt –, ce virtuose des lettres entretient une relation étroite avec la Bibliothèque, à laquelle il a confié ses archives et manuscrits il y a cinq ans.
« C’est l’une des œuvres les plus exigeantes et les plus singulières de la littérature française contemporaine que le jury du prix de la BnF a choisi d’honorer cette année. En explorant tous les champs de la création littéraire, Pascal Quignard nous invite, livre après livre, à nous concentrer sur l’essence d’un bonheur qui ne serait pas béat, prenant sa source dans le Carpe diem lucide d’Horace, pour témoigner du poids indéniable de la littérature dans nos existences. »Laurence Engel, présidente de la BnF
« Il était temps que la BnF honore cet écrivain majeur de notre littérature, à la fois romancier, dramaturge, scénariste, esthète, et poète. »Jean-Claude Meyer, président du Cercle de la BnF
Né en 1948 à Verneuil-sur-Avre, Pascal Quignard s’est fait très tôt remarquer par des travaux d’une grande subtilité, comme L’Être du balbutiement, essai consacré à Sacher-Masoch en 1969, et une traduction de l’Alexandra de Lycophron, réalisée à la demande de Paul Celan en 1971. Puis, en parallèle à ses fonctions éditoriales chez Gallimard, il publie une série de romans qui ont marqué l’actualité littéraire, tels Le Salon du Wurtemberg en 1986 ou Les Escaliers de Chambord en 1989.
C’est avec la publication de Tous les matins du monde en 1991, dont l’adaptation au cinéma par Alain Corneau la même année fut récompensée par sept César, que le grand public découvre réellement l’écriture ciselée et reconnaissable entre toutes de Pascal Quignard, ainsi que son talent dans l’évocation des sensibilités humaines.
En 1994, l’écrivain choisit d’abandonner toute responsabilité éditoriale pour se retirer en Bourgogne et s’y adonner entièrement à l’écriture, se consacrant notamment à de nouvelles expérimentations littéraires.
Commencé avec Les Ombres errantes (prix Goncourt 2002), le vaste et ambitieux cycle Dernier Royaume – le 12e tome paraît fin août –, composé d’essais, de contes, de fragments de romans, de traductions et de poèmes, constitue depuis plus de vingt ans le cœur de l’écriture de cet « ermite » des lettres françaises.
Tout au long de ces années, l’auteur n’a pas pour autant délaissé le genre romanesque, offrant à la communauté fidèle de ses lecteurs plusieurs trésors, comme Terrasse à Rome, grand prix du roman de l’Académie française en 2000, Villa Amalia que Benoît Jacquot adapta au cinéma avec Isabelle Huppert en 2009, ou le dernier en date, L’Amour, la Mer, paru l’an dernier et qui nous permet de retrouver plusieurs personnages phares des œuvres précédentes de Pascal Quignard.
2022 - Pierre Michon
Considéré comme l’un des plus grands écrivains français contemporains, cet émule de Hugo, Flaubert, Rimbaud ou Faulkner a dédié sa vie à la littérature et révélé, en une quinzaine d’ouvrages, la puissance d’une langue précieuse et rare qui perpétue le souvenir de figures et de lieux oubliés ou disparus.
Né dans la Creuse, dans le village de Châtelus-le-Marcheix, en 1945, Pierre Michon entre en littérature 39 ans plus tard avec la parution de Vies minuscules chez Gallimard. Un premier ouvrage devenu culte dans lequel il explore sa mémoire familiale et transfigure ceux qui, trop souvent assignés à l’effacement et à l’indifférence, peuplent son Limousin natal, « province […] sans côtes, plages ni récifs ». Grâce à un usage extrêmement soigné de la langue, les textes de Pierre Michon se rapprochent de la poésie en prose, et l’on pourrait les comparer à une version moderne des chansons jadis transmises par les troubadours.
Aujourd’hui lus et étudiés dans les classes, objet de travaux universitaires, ces textes érigés en classiques explorent notamment son rapport à la création, aussi bien en peinture (Maîtres et serviteurs, Le Roi du bois, Les Onze, couronné par le Grand prix de l’Académie française en 2009…) qu’en littérature (Rimbaud le fils, Trois auteurs, Corps du roi…) à travers des récits brefs, aux phrases ciselées.
2021 – Hélène Cixous
Née en 1937 à Oran, Hélène Cixous a publié plus de soixante-dix ouvrages (fictions, essais et pièces de théâtre) depuis la parution en 1967 de son recueil de nouvelles, Le Prénom de Dieu : une œuvre considérable, qui l’impose comme une figure majeure de la littérature contemporaine, et qu’accompagnent de multiples engagements dans la vie intellectuelle de ce temps.
Non-classable, elle agit sur plus d’une scène. Ainsi en 1968, cette brillante universitaire, auteur d’une thèse sur Joyce (L’Exil de James Joyce ou l’Art du remplacement), est-elle chargée de la création de l’Université de Paris 8-Vincennes, où elle enseigne jusqu’en 2005. Elle y institue en 1974 le premier doctorat en Études Féminines, un an avant que ne paraisse le fameux Rire de la Méduse (1975), devenu mondialement un texte culte du féminisme. Depuis 1983, elle anime son Séminaire dans le cadre du Collège international de philosophie.
2019 – Virginie Despentes
Écrivaine et réalisatrice de films, Virginie Despentes, née en 1969 à Nancy, a bâti en vingt-cinq ans une oeuvre littéraire singulière. Révélée par son premier roman Baise-moi (1994), elle n’a cessé depuis de publier passant de la fiction (Les Jolies choses en 1998, Apocalypse bébé, Prix Renaudot en 2010, Vernon Subutex prix Anaïs Nin en 2018…) à l’essai (King Kong Théorie en 2006), ou du livre au film – en signant notamment de nombreuses adaptations de ses propres romans (Baise-moi, en 2000 en collaboration avec Coralie Trinh Thi ou encore Bye Bye Blondie en 2011). Également parolière et traductrice, Virginie Despentes est membre depuis 2016 du jury du Prix Goncourt.
2018 – Emmanuel Carrère
Scénariste, journaliste, comédien, biographe, exégète, romancier, cinéaste, documentariste, Emmanuel Carrère a traversé toutes les écritures – y compris celle de la Bible (avec son ouvrage Le Royaume, 2014) -, qui l’ont conduit, à parts égales à se raconter et à raconter la vie des autres… Publié aux éditions P.O.L, il a construit en près de quarante ans une œuvre émouvante et dense, chronique du temps et baromètre du moi de l’écrivain contemporain.
Trois tropismes émergent : le premier, de nature en partie autobiographique, pour la Russie (Un Roman Russe, 2007 ; Limonov, 2009, Voyage à Kotelnitch, 2003) ; le second pour le fantastique, et qui trouve peut-être ses origines dans la fréquentation assidue de l’œuvre de Philip K. Dick, l’un des plus grands auteurs de science-fiction auquel il consacre une biographie (Je suis vivant et vous êtes morts, 1993) ; le troisième, pour le fait-divers et le fait social, à travers sa passion pour l’enquête, en partie journalistique, sur le réel dont il tire la matière même de la fiction – notamment dans La Classe de neige (1995), porté à l’écran par Claude Miller, ou L’adversaire (2000), dont le protagoniste, Jean-Claude Romand a donné son nom à l’une des plus célèbres faits-divers de la France de la fin du XXe siècle.
Adapté à de nombreuses reprises, il a également pris en main la caméra pour se faire documentariste (Retour à Kotelnitch, 2003) et cinéaste (La moustache, 2005) ou encore prendre le stylo pour se confronter à l’écriture de fictions télévisées, notamment pour la série Les revenants (2012).
2017 – Paul Veyne
Né le 13 juin 1930 et mort le 29 septembre 2022, Paul Veyne était professeur honoraire au collège de France. On lui doit de nombreux ouvrages de référence sur le monde antique, bien connus du grand public, notamment celui qui interroge l’imaginaire des anciens : Les grecs ont-ils cru en leurs mythes ? (Seuil, 1983).
C’est à travers la lecture de l’Odyssée que Paul Veyne prend conscience, à onze ans, de la beauté de ces livres fondateurs qui l’accompagnent encore aujourd’hui – lui qui a publié récemment une nouvelle et éclatante traduction annotée de l’Énéide de Virgile. De cette illumination première sort quelques années plus tard sa thèse, Le pain et le cirque (Seuil, 1975), ouvrage majeur sur l’Antiquité romaine qui rompt avec les méthodes traditionnelles de l’École des Annales.
Ses amitiés et ses fidélités sont nombreuses : de Michel Foucault, son « caïman » à l’École normale supérieure, à Raymond Aron, René Char – à qui il consacre un livre (René Char en ses poèmes, Gallimard, 1990) ou Jacques Le Goff… Dans un de ses derniers livres, récits de souvenirs, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (Albin Michel, 2014), Paul Veyne raconte ainsi son itinéraire intellectuel et intime et fait la preuve que l’homme de science est aussi pleinement un homme des sens. En 2015, il publie, Palmyre, l’irremplaçable trésor (Albin Michel), une réflexion sur l’histoire de Palmyre et sa destruction récente et en 2016, La villa des mystères à Pompéi (Gallimard).
2016 – Jean Echenoz
Né en 1947, Jean Echenoz appartient à la génération du « baby boom ». Publié dans la prestigieuse maison des Éditions de Minuit, son style hérite en partie de l’école du Nouveau roman, de par l’attention portée à la langue et, plus qu’à l’intrigue, à la manière de raconter.
L’auteur manifeste un goût prononcé pour le clin d’oeil, qui le conduit, par exemple, dans L’équipée malaise (1986), à revisiter le roman d’aventure ou le mythe littéraire, comme celui de Robinson dans Le méridien de Greenwich (1979). Exercice d’admiration et récit poignant, Ravel (2009) est une enquête sur la condition de l’artiste face à la «fin» de la création. Cette même inquiétude contamine le protagoniste marathonien de Courir (2008), Zatopek, dans sa performance sportive. Au delà du travail sur l’écriture volontiers parodique, Jean Echenoz bâtit une œuvre où couve une angoisse qui fait trembler de loin en loin ses récits, à l’image de la secousse sismique qui, dans Nous trois (1992), fait vaciller le monde.
2015 – Michel Houellebecq
Né en 1956, Michel Houellebecq a reçu une formation scientifique. Diplômé de l’Institut national d’agronomie Paris Grignon, et après des études de cinéma à l’École nationale Louis Lumière, Michel Houllebecq est employé un temps à la direction informatique du Ministère de l’Agriculture qui lui inspire son premier roman, Extension du domaine de la lutte. Son œuvre, composite, alterne poésies, romans, essais, films et même concerts. Chaque publication, depuis la première en 1994 jusqu’à Soumission (2015) a contribué à lancer ou stimuler un débat de société – sexualité avec Les particules élémentaires, prostitution et économie libérale avec Plateforme, art contemporain avec La carte et le territoire, et dernièrement, islam, avec Soumission. Cette œuvre porte un regard original et ironique sur notre époque, sur ses paradoxes, ses impasses et le fond de solitude qui paraît être sa vérité ultime.
2014 – Mona Ozouf
Née en 1931 dans une famille d’instituteurs bretons, Mona Ozouf, agrégée de philosophie, a consacré l’essentiel de ses recherches à l’école publique en France ainsi qu’à la Révolution française. Elle est directrice de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches politiques Raymond Aron à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle est l’auteur d’une oeuvre abondante, notamment Les aveux du roman (2004), Composition française : retour sur une enfance bretonne, (2009), La cause des livres (2011) et tout récemment Jules Ferry, la liberté et la tradition (2014) aux Éditions Gallimard.
2013 – Yves Bonnefoy
Né le 24 juin 1923 et mort le 1ᵉʳ juillet 2016, Yves Bonnefoy est un auteur à la croisée des arts et des savoirs. Dans ses écrits et dans sa vie, il semble que tous les arts viennent dialoguer et se réfléchir. Son travail de traducteur – de Shakespeare, Pétrarque, Leopardi, Seféris – se double d’une réflexion critique sur la traduction. Le poète se signale dès l’après-guerre par un merveilleux recueil, Du mouvement et de l’immobilité de douve, qui donne le coup d’envoi à une production qui fera date. Cette œuvre, à son tour, s’ouvre aux voix poétiques du passé, comme Baudelaire, Rimbaud ou Yeats mais aussi, à travers les amitiés, à celles de ses contemporains, Christian Dotremont, Paul Celan, André du Bouchet. Yves Bonnefoy a écrit nombre d’ouvrages et de monographies où il interroge la peinture, le regard, l’esthétique.
2012 – Milan Kundera
Né le 1ᵉʳ avril 1929 à Brno en Tchécoslovaquie et mort le 11 juillet 2023 à Paris, Milan Kundera a émigré en France en 1975 et écrit une grande partie de ses ouvrages en français. La vie est ailleurs, pour lequel il obtient le prix Médicis en 1973, La plaisanterie, L’insoutenable légèreté de l’être ou L’Ignorance figurent parmi les grands romans de cet écrivain au côté d’écrits théoriques majeurs comme L’Art du roman paru en 1986. Il est le seul auteur vivant publié à ce jour dans la Pléiade.
2011 – Patrick Modiano
Né en 1945, Patrick Modiano publie en 1968 aux éditions Gallimard son premier roman La place de l’étoile. En 1974, il signe le scénario du film de Louis Malle Lacombe Lucien et obtient le prix Goncourt avec Rue des Boutiques Obscures en 1978. Cet auteur fasciné par la période de l’Occupation, a conquis un large public grâce à des ouvrages comme Dora Bruder (1997), Un pedigree (2005) ou Dans le café de la jeunesse perdue (2007).
2010 – Pierre Guyotat
Né le 9 janvier 1940 et mort le 7 février 2020, Pierre Guyotat était l’auteur de livres majeurs, souvent controversés. Il avait construit une œuvre exigeante, virtuose et subversive. Après Tombeau pour cinq cent mille soldats(1967) inspiré par son expérience de la guerre d’Algérie, il publie Eden, Eden, Eden, paru chez Gallimard en 1970 et aussitôt interdit par le ministère de l’Intérieur à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs. Il poursuit son travail de transformation de la langue avec Prostitution (1975), Coma (2006), ou Formation (2007), récit de ses premières années. En 2004, Pierre Guyotat avait fait don de ses archives à la BnF : manuscrits, correspondance sous forme papier mais aussi numérique, carnets, photographies, enregistrements. Son œuvre avait été distinguée en 2010 par le Prix de la BnF.
2009 – Philippe Sollers
Depuis son premier roman, Une curieuse solitude, publié en 1958, Philippe Sollers, né le 28 novembre 1936 à Talence et mort le 5 mai 2023 à Paris, est une figure majeure de la littérature française contemporaine, dont l’œuvre mêle avec profusion les romans et les essais littéraires, théoriques, politiques, ou sur l’histoire de l’art.
Après avoir fondé la revue Tel Quel en 1960 et obtenu en 1961 le prix Médicis pour Le Parc, Sollers devient dans les années soixante l’un des chefs de file de l’avant-garde romanesque, sous le patronage de Barthes et Derrida, et avec la complicité de sa compagne Julia Kristeva. Ce qui devient le « mouvement » Tel Quel suit d’abord une évolution très politique, sur la voie du maoïsme, avec lequel il prend progressivement ses distances à partir de 1974 ; suivent des textes à l’écriture très ambitieuse, jusqu’à Paradis (1981).
En 1983 a lieu un virage dans son œuvre avec le passage des éditions du Seuil aux éditions Gallimard, la création de la revue L’Infini, et la publication de Femmes, roman à clés et best-seller qui défraye la chronique. Tout au long de sa carrière, Philippe Sollers a également joué un rôle capital au sein des éditions du Seuil puis des éditions Gallimard, où la revue L’Infini, qu’il dirige aujourd’hui encore, a donné lieu à une collection du même nom qui très régulièrement découvre de nouveaux talents, et plus généralement dans le monde de l’édition, où on lui prête une influence considérable.