Du cylindre au son dématérialisé, mémoire de l’édition discographique
C’est en décembre 1877 que naît l’enregistrement sonore. Après les conceptions restées théoriques de Scott de Martinville en 1857 et de Charles Cros en avril 1877, Thomas Edison présente le phonographe, qui permet d’enregistrer puis de restituer le son sur un cylindre métallique recouvert d’une feuille d’étain. À partir de 1887, un cylindre de carton recouvert d’une matière cireuse, rend l’objet moins fragile. Dans le même temps, le 7 novembre 1887, un ingénieur allemand installé aux États-Unis, Emile Berliner, dépose un brevet pour une nouvelle invention, le gramophone, qui permet de fixer le son sur un disque plat. Pendant quelques années, cette invention reste confidentielle jusqu’à ce qu’en 1893, le même Berliner dépose un brevet pour un système permettant la duplication des disques. La vitesse de ces disques se standardise peu à peu à 78 tours par minute. La durée d’écoute est d’environ 3-4 minutes. Leur commercialisation massive devient possible. L’édition phonographique apparait.
Apparition des labels phonographiques
À partir de 1895, des labels phonographiques font leur apparition. Le paysage éditorial évolue vers la constitution de véritables trusts ou empires éditoriaux. Le symbole peut en être le groupe Gramophone fondé par Berliner, avec des filiales dans un grand nombre de pays européens : France, Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, pays scandinaves, Russie, etc. Le groupe Carl Lindström avec ses marques Lindström et Parlophon auxquelles s’ajouteront par achat Beka, Odéon ou encore Fonotipia ou l’empire Pathé, présent dans toute l’Europe jusqu’à la Russie comme aux États-Unis (label Pathé Actuelle).
Cette industrie en plein essor se nourrit des répertoires musicaux de l’époque. On enregistre des valeurs sures, des vedettes comme la soprano Nellie Melba qui a sa propre marque, Gramophone Melba. Le phénomène majeur est l’apparition de stars créées et connues par le disque, dont l’illustration la plus parfaite est le ténor Enrico Caruso (1873-1921) dont la voix est fixée dès 1902 sur cylindres Pathé dans des extraits de Verdi et de Puccini. Il travaillera par la suite pour les firmes Gramophone et Victor. Cette évolution n’est d’ailleurs pas circonscrite au répertoire classique. Dans le domaine du caf’conc, un artiste à la carrière scénique discrète, Charlus, devient une grande vedette grâce au disque.
Après la guerre, les années 1920 sont une période de réorganisation pour l’industrie du disque. 1925 marque un tournant : cette année-là, Victor et Columbia publient, aux États-Unis, les premiers disques à enregistrement électrique. Auparavant, en effet, tous les enregistrements étaient réalisés de manière acoustique, sans amplification électrique. Les progrès sont immédiatement notables. Il devient possible d’enregistrer de véritables orchestres sans se limiter à de petites formations, des voix aigues sans risque de mauvaise restitution du signal sonore (ce qui est aussi valable pour les violons, par exemple). La durée d’enregistrement d’une face de disque reste, cependant, limitée à environ quatre minutes.
Les années 1930 : apparition des labels spécialisés
Les années 1930 vont connaître l’émergence de marques discographiques spécialisées. Ainsi, des partis politiques possèdent leur propre organe discographique : La Voix des nôtres, créée en 1929 par le publiciste Jean Lorris, et Ersa pour le parti socialiste tendance SFIO et Piatiletka, marque déposée en 1932 par la Société coopérative ouvrière de TSF pour le parti communiste. Lui succède en 1937 le label La Voix du peuple.
Dans le domaine musical, quatre initiatives éditoriales apportent un éclairage original et nouveau. En 1932, Louise B. Dyer crée les éditions de l’Oiseau lyre, consacrant un catalogue important à la musique imprimée, mais également à l’enregistrement sonore. Deux ans plus tard Jacques Lévy-Alvarez, un galeriste d’art, fonde sa propre marque discographique BAM [La Boîte à musique]. Il y développe un catalogue de musiques inédites, n’ayant bénéficié d’aucun enregistrement antérieur. Ainsi publie-t-il, dès 1934, le baryton Yvon Le Marc’hadour dans un répertoire allemand du XVIIIe siècle ou italien dans des Madigaux de Monteverdi. Il enregistre également des ensembles instrumentaux, tel l’Ars rediviva, dans des œuvres de J.P. Krieger ou Johann Sebastian. Autre label important, l’Anthologie sonore est créée en 1935 par une association artistique, la SAFTA, dont le directeur était François Agostini. Il se consacre entièrement à la restitution d’œuvres musicales allant du Moyen-Age à la fin du XVIIIe siècle. Il s’appuie sur le travail de recherche de musicologues tel Guillaume de Van. Ces restitutions sont réalisées sur instruments anciens (virginal, viole ou clavecin…), concept innovant pour l’époque.
Enfin, le jazz connaît sa première marque discographique française, Swing, créée en 1937 à l’initiative de Charles Delaunay et d’Hugues Panassié. Elle est éditée par Pathé Marconi et devient le premier label entièrement consacré à ce genre musical.
Preuve que le disque est entré dans les mœurs : à Paris, la Phonothèque nationale, ancêtre du département son, vidéo, multimédia, ouvre ses portes en avril 1938. Chaque disque publié sur le territoire français doit y être déposé en deux exemplaires sur le modèle du Dépôt légal du livre. Les premiers dépôts n’interviendront qu’en 1940.
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Les Trente Glorieuses du Disque
Un nouveau bouleversement technique a lieu en 1946. Aux USA, Columbia sort les premiers microsillons modernes – une invention de Peter Goldmark – LP et 33 tours, en vinyle. La vinylite permet d’obtenir des surfaces lisses et, ainsi, de diminuer la vitesse sans laisser passer trop de bruits parasites. Le diamètre se standardise à 25 puis 30 cm et la durée d’écoute par face est d’environ 25 minutes. En France, c’est le label L’Oiseau lyre qui, en 1949, publie le premier disque microsillon français, L’Apothéose de Lully, de Couperin, sous la baguette de Roger Désormière. Dans le même temps, en 1947, la bande magnétique (inventée en 1928) fait son entrée dans les studios. Elle permet, dès les années 1950, des possibilités de mixage et de montage en vue de la réalisation de la bande définitive ou master. Deux personnages, parfois réunis en un, vont prendre une grande importance : l’ingénieur du son et le directeur artistique.
Enfin, en 1957, la stéréophonie apparaît dans le paysage discographique. Erato édite en France le premier disque en stéréo. Les disques vont alors connaître une édition parallèle en mono ou en stéréo jusqu’à l’apparition, en 1967, de la gravure universelle ou « stéréo compatible ». 1957 est également l’année où le 78 tours est officiellement abandonné en Europe.
Les fameuses Trente Glorieuses vont également être les Trente Glorieuses du disque. Le disque devient un produit de consommation de masse, quels que soient les genres musicaux : musique classique, variété, rock, folk, etc…. Si les enregistrements réalisés en studio sont de plus en plus perfectionnés et soignés, la technique permet aussi un essor sans précédent des enregistrements « live ». On peut dire que, techniquement et commercialement, le disque est arrivé à maturité.
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Microsillon, CD, révolution numérique, Internet
Le microsillon domine donc pendant un quart de siècle. Ce règne sans partage prend fin lorsqu’en 1979, Philips, Sony, Hitachi et JVC s’entendent pour lancer un nouveau format : le compact-disc. C’est une nouvelle révolution. Le support analogique cède la place à un support numérique, un disque de 12 cm de diamètre pouvant contenir 80 minutes d’enregistrement. Le CD est commercialisé au Japon en 1982, en Europe en 1983. Il domine littéralement le marché au détriment du microsillon en un peu moins de 10 ans. Cependant, on observe aujourd’hui une inversion des tendances : le microsillon reste présent sur le marché du disque tandis que le CD disparait au profit des téléchargements, en dépit d’une hausse de ses ventes en 2021, due à des effets marketing de quelques stars de la musique tel Adèle et Taylor Swift.
Le disque compact ne fut que la première étape vers le numérique. À partir des années 2000, le son se « dématérialise » largement. La musique se diffuse dorénavant majoritairement par le biais d’Internet. Plateformes musicales et streaming révolutionnent les circuits commerciaux et les usages. La numérisation et la mise en réseau modifient les vieilles pratiques, sans pour autant les faire totalement disparaitre. Nouvelles technologies, nouveaux usages, le dépôt légal s’adapte et doit permettre la collecte des centaines de milliers de références discographiques disponibles en ligne sur Internet. C’est ainsi que, avec la poursuite de sa politique de numérisation, le dépôt légal du son dématérialisé est le défi du département Son, vidéo, multimédia .
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